14,4 milliards d’euros: l’Europe spatiale investit-elle assez ?

Un succès indéniable. La conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), organisée à Séville, s’est achevée sur une excellente note : les ministres de l’Espace des 22 Etats membres (20 pays de l’UE, plus la Suisse et la Norvège) ont voté un budget de 14,4 milliards d’euros pour financer les futurs programmes spatiaux du Vieux continent, dont 12,5 milliards sur la seule période 2020-2023. La somme, record, est supérieure de 40% aux 10,3 milliards votés lors de la précédente ministérielle de Lucerne (Suisse), en décembre 2016. Elle se compose de 4,3 milliards de programmes obligatoires, financés par les Etats en fonction de leur PIB, et une grosse dizaine de milliards de programmes optionnels, que les Etats financent en fonction de leurs intérêts industriels et priorités stratégiques. « Nous avons fait un pas de géant pour l’Europe ! », s’est immédiatement félicité Jean-Yves Le Gall, président du CNES, l’agence spatiale française.

Un pas de géant, vraiment ? La somme représente, à l’évidence, un effort conséquent. Les grands programmes proposés par l’ESA sont tous financés, notamment les briques technologiques indispensables à l’amélioration d’Ariane 6 : le démonstrateur de nouveau moteur à bas coût Prometheus, l’étage supérieur ultraléger en carbone Icarus, et le prototype d’étage réutilisable Thémis, qui doit ouvrir la voie à une possible « Ariane Next » réutilisable. La petite navette spatiale Space Rider de Thales Alenia Space est également financée : réutilisable cinq fois et d’un poids de 2,5 tonnes, elle doit à la fois permettre la réalisation de missions scientifiques en orbite, et la maîtrise du retour dans l’atmosphère d’engins spatiaux à une vitesse hypersonique.

Station orbitale lunaire

Dans le détail, l’ESA va investir 1,5 milliard d’euros sur le secteur des télécoms, avec notamment le développement de satellites intégrés aux réseaux 5G. L’agence va consacrer 2,5 milliards dans l’observation de la Terre, avec 11 nouvelles missions, dont de nouveaux satellites Sentinel du programme Copernicus. 2,2 milliards seront consacrés aux lanceurs, pour gérer au mieux la transition entre Ariane 5 et Ariane 6, Vega et Vega C, et préparer l’après-Ariane 6. L’ESA flèche 1,95 milliard vers l’exploration spatiale : l’Europe confirme son financement dans la Station spatiale internationale jusqu’en 2030. Elle développera aussi des modules de la future station Lunar Gateway en orbite lunaire, et participera à la mission de la NASA Mars Sample Return, qui consistera à rapporter des échantillons de sol martien sur terre. 1,67 milliard seront consacrés aux missions scientifiques, 309 millions d’euros à la modernisation du Centre spatial Guyanais (CSG) et 432 millions à la sécurité spatiale (gestion du trafic spatial, suppression des débris en orbite).

Autre bonne nouvelle : ces 14,4 milliards votés par les Etats membres de l’ESA ne sont pas le seul financement prévu par l’Europe. S’y s’ajouteront, s’ils sont définitivement votés, les 16 milliards d’euros consacrés au secteur spatial par la Commission européenne sur la période 2021-2027, une enveloppe pour le nouveau commissaire français Thierry Breton. L’Europe s’apprête ainsi à investir une trentaine de milliards d’euros dans le spatial ces prochaines années, ce qui représente un vrai effort.

Pour autant, ce « pas de géant » est à nuancer. L’enveloppe votée par les Etats membres de l’ESA équivaut à 3 milliards d’euros par an. Le budget spatial de la Commission (16 milliards sur sept ans) équivaut quant à lui à 2,3 milliards par an. En intégrant les budgets nationaux, l’Institut Montaigne arrivait fin 2017 à un budget spatial européen total de 7,5 milliards d’euros. Ce chiffre, évidemment approximatif, est à comparer aux 21,5 milliards de dollars (19,5 milliards d’euros) du budget de la NASA. En prenant en compte le budget spatial militaire américain, les Etats-Unis consacrent même 41 milliards de dollars par an à l’espace, selon le cabinet Euroconsult. A des années-lumières, donc, du budget européen.

La Chine accélère aussi

Les Etats-Unis peuvent aussi compter sur un investissement privé conséquent. Le patron d’Amazon Jeff Bezos investit tous les ans de l’ordre d’un milliard de dollars dans son groupe spatial Blue Origin. En 2018, l’investissement privé dans le spatial était estimé à 3,2 milliards de dollars par Bryce Space and Technology, dont les deux tiers émanant de VCs (capital risque). L’Europe est quasi-absente sur ce segment.

La Chine est aussi sur une autre planète que l’Europe. Elle investit 9,3 milliards de dollars par an dans le spatial, selon l’OCDE. Pas si loin, à première vue, du budget européen. Mais Pékin, aux coûts bien plus bas, fait beaucoup plus avec un dollar que l’Europe ou les Etats-Unis. En parité de pouvoir d’achat, ces 9,3 milliards représentent un budget bien supérieur. « L’Europe accélère sur le spatial, ce qui est évidemment à saluer, mais certains concurrents accélèrent probablement encore plus vite », résume Arthur Sauzay, auteur d’un rapport sur l’Europe spatiale pour l’Institut Montaigne en 2017.

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