Air France devrait-il s’inspirer davantage de Delta?

C’est un retournement digne des constructeurs automobiles américains. En 2013, Delta Air Lines a affiché un bénéfice net de 2,7 milliards de dollars. De quoi susciter jalousie et admiration à Air France-KLM. Ce jeudi 20 janvier, le groupe franco-néerlandais doit annoncer des résultats un peu meilleurs que l’an dernier, mais à des années-lumière des performances affichées par son partenaire au sein de SkyTeam.

Forte de ses 165 millions de passagers transportés en un an, qui lui ont apporté 37 milliards de dollars de recettes, Delta enregistre un résultat d’exploitation en hausse de 56%. Et 2014 « s’annonce encore meilleur », a promis le directeur général, Richard Anderson, devant les analystes. Qui l’aurait cru en 2005, lorsque la compagnie était en quasi banqueroute, lestée par une perte record de plus de 5 milliards de dollars?

Une vraie réorganisation des liaisons

Le troisième transporteur américain a certes bénéficié à l’époque de la protection de la loi sur les faillites, dite « chapitre 11 ». Un gel des créances qui lui a permis de se restructurer tout en poursuivant son activité. C’était d’ailleurs la blague de Jean-Cyril Spinetta, l’ex-patron d’Air France-KLM, au sujet de son allié : « L’histoire d’un type mal en point qui cherche une solution dans un livre pour s’en sortir et tombe sur le chapitre 11. »

Tout n’a pas été rose pour autant : Delta a réduit ses effectifs de 17% et imposé une baisse des salaires de 15 à 25% à ses employés. Surtout, les avantages de la législation américaine – dont ont aussi bénéficié, mais avec moins de succès, United Airlines et US Airways – n’expliquent pas tout. A Atlanta, les dirigeants de Delta ont su faire preuve d’innovation, quitte à prendre des risques stratégiques. « Nous avons modifié chaque aspect du modèle économique », explique Perry Cantarutti, vice-président de Delta pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.

La compagnie a su tirer les leçons de la féroce concurrence des low cost américaines, comme South-west et JetBlue, qui a failli lui être fatale dans les années 2000. Delta a ainsi décidé de couper certaines routes historiques de la côte Est, où elle perdait des parts de marché.

« On faisait partir un Boeing 767 de 200 places à 9 heures du matin de Fort Myers vers Atlanta avec huit personnes à bord sous prétexte qu’il fallait protéger notre part de marché en Floride », rappelle un cadre. Cette coûteuse stratégie a été abandonnée au profit d’une réorganisation complète du réseau et des capacités. Les gros jumbos ont été replacés sur les vols long-courriers et des appareils plus petits sur les moyen- et court-courriers.

Pionnière en matière de fusion

Assez logique, cette politique n’aurait toutefois pas été possible sans la décision, en 2008, de fusionner avec Northwest, cinquième compagnie américaine. Cette initiative, prise avec trois ans d’avance sur ses concurrentes United et Continental, et cinq ans avant celle, toujours en cours, d’American et US Airways, a permis à Delta de sécuriser son emprise sur le marché domestique, dont elle opère un quart du trafic. Et de renforcer son réseau de correspondances en déployant de puissants hubs aux quatre coins des Etats-Unis, à Atlanta, Cincinnati, Salt Lake City et New York. Son activité à l’aéroport JFK, point d’entrée majeur des vols transatlantiques, a ainsi doublé en cinq ans avec près de 150 départs par jour.

Conscient de son image dégradée en termes de service aux passagers, Delta s’est lancée dans un plan de modernisation de la flotte et des infrastructures aéroportuaires. Le terminal 4 de JFK a été totalement rénové par la compagnie, qui a poussé le détail jusqu’à installer son propre système de contrôle douanier automatisé.

« Au total, plus de 3 milliards de dollars vont être investis jusqu’en 2016,dont 770 millions pour moderniser les cabines sur les vols intérieurs », rappelle Béatrice de Rotalier, directrice commerciale France. Pour la clientèle affaires, plus de 17.500 sièges-lits, totalement inclinables et en libre accès au couloir, seront aussi déployés sur les vols long-courriers entre les Etats-Unis, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.

Participations à l’international

A la différence de ses concurrentes, Delta a pris des initiatives plutôt innovantes dans le monde de l’aérien. Contrainte de serrer les coûts pour faire diminuer sa dette de 9 milliards de dollars, la compagnie au triangle rouge a carrément racheté une raffinerie de pétrole au sud de Philadelphie en 2012. Cet investissement de 250 millions de dollars couvre 80% des besoins en carburant de la compagnie aux Etats-Unis. « C’est le prix d’un avion gros-porteur, ce qui n’est pas cher payé lorsqu’on sait que cela fait gagner 300 millions de dollars sur la facture annuelle », explique-t-on à Atlanta.

Se jugeant encore trop petite à l’international, Delta s’est mise à multiplier les prises de participations à l’étranger : dans la compagnie brésilienne GOL, dans Aeromexico, et surtout dans la compagnie britannique Virgin Atlantic, dont Delta est désormais le principal actionnaire avec 49% du capital. Officiellement lancée le 1er janvier, cette coentreprise va lui permettre de renforcer considérablement sa compétitivité sur les vols transatlantiques au départ de Londres Heathrow. « C’est clairement un joli coup, juge un expert du secteur. Sur les dix principales liaisons transatlantiques Europe-Etats-Unis, huit sont au départ de Londres. La route favorite des banquiers de la City vers New York! »

Reste à conserver son avance. Car la compétition risque d’être plus rude désormais. A Atlanta, on suit avec attention la naissance du géant américain né de la fusion entre US Airways et American Airlines. Tout en gardant un œil sur la menace des compagnies du Golfe qui, à l’instar d’Emirates, ont déjà réussi à poser un bout d’aile sur le tarmac de New York.


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