Airbus: la Chine envoie un message à Washington

Joli coup pour Airbus. L’avionneur européen a signé lundi un méga-contrat de 290 A320 et 10 A350 avec la centrale étatique chinoise CASC, lors du deuxième jour de la visite du président Xi Jinping en France. L’accord commercial, qui avoisine les 30 milliards d’euros, est aussi plus important qu’espéré puisqu’il prévoyait initialement l’achat par Pékin de 184 A320. Une commande attendue depuis des années mais particulièrement bienvenue à l’heure où le grand rival Boeing connaît des difficultés, analyse Jean-François Dufour, directeur du cabinet d’analyses DCA Chine.

Challenges – Comment interprétez-vous cette méga-commande, nettement plus importante que prévu?

Jean-François Dufour – Elle revêt une forte dimension diplomatique puisque cet accord égale celui, record, signé en 2017 par Pékin avec Boeing. Ce dernier avait été acté à l’occasion de la visite en Chine de Donald Trump, avant la « guerre commerciale » entre les deux pays. Il portait sur l’achat de 300 Boeing (260 moyen-courrier B737 et 40 long-courrier B777/787) et illustrait la volonté de Pékin de diversifier ses achats d’avions tout en adressant un signal positif à l’égard de l’administration Trump. Aujourd’hui le contexte n’est plus du tout le même. La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis est passée par là. De ce point de vue, ce méga-contrat obtenu par Airbus peut être perçu comme un message à l’attention des Etats-Unis. Après le crash du Boeing 737 MAX de la compagnie Ethiopian Airlines, la Chine a été le premier pays à clouer au sol ses 737 MAX qui étaient au cœur du méga-contrat de 2017. Puis, avec ces achats d’avions Airbus, et alors que les négociations commerciales avec Washington se poursuivent, Pékin dit clairement à Boeing et à Donald Trump : « Attention vous n’êtes pas surpuissants. L’Europe aussi existe ».

Cette commande permet-elle à Airbus de reprendre la main par rapport à Boeing sur le marché chinois?

La Chine a toujours dit qu’elle ferait en sorte que les deux constructeurs soient à 50-50, ce qui est globalement le cas. Mais la compétition entre Boeing et Airbus est âpre. Boeing a, par exemple, ouvert l’an dernier en Chine un centre de finition destiné à l’aménagement de ses moyen-courriers. De son côté Airbus avait pris de l’avance en lançant dès 2008 une usine d’assemblage des A320 à Tianjin. Aujourd’hui, le contexte apparaît plus favorable pour Airbus mais n’oublions pas que la Chine va devenir d’ici au milieu des années 2020 le premier marché aéronautique mondial. Il y aura de la place pour tout le monde.

Alors que les groupes européens ont subi ces dernières années l’émergence des géants chinois dans les télécoms ou les transports, Airbus est-elle la seule entreprise continentale à pouvoir exister dans la guerre commerciale et technologique sino-américaine?

La commande record obtenue par Airbus doit conforter les pays européens dans l’idée que seule l’unité permettra à l’Europe de négocier d’égal à égal avec la Chine. Airbus est l’exemple à suivre si l’Europe veut jouer un rôle sur la scène mondiale. A l’inverse, la division qui guette l’Union européenne s’agissant du projet chinois de nouvelles routes de la soie est un piège dans lequel les 27 ne doivent pas se laisser enfermer.

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