Analyse et Stratégie : Cet indicateur qui montre ô combien les boursiers craignent une chute du S&P 500

C’est l’un des grands enseignements du krach de 1987. La Bourse va beaucoup plus vite à dégringoler qu’à monter. Là où, il y a trente ans, le Dow Jones a mis un peu plus d’un an à gagner 500 points, la seule séance du 19 octobre a suffi à les perdre. L’indice des grandes valeurs industrielles américaines avait dévalé de 23%. A côté, le krach de 1929 passait alors pour une simple brise. Et à fureter dans l’historique des séances, même du côté des hausses, même durant les années folles, une amplitude pareille, c’est du jamais vu. Au mieux de sa forme, le 15 mars 1933, le Dow Jones a gagné 15%. Ce « lundi noir », c’est donc autant l’ampleur de la chute que sa vélocité qui sidéra les boursiers. Ce jour-là, nous disait récemment un professionnel de marché, beaucoup ont appris ce qu’était le risque en Bourse.

1987, c’est l’époque des yuppies, des golden boys, de Gordon Gekko dans le film culte Wall Street d’Oliver Stone inspiré de la vie du financier Michael Milken, l’inventeur des « junk bonds », ces obligations dites « pourries » tellement le risque de faillite de l’entreprise qui les a émises est grand. C’est une période de foisonnement, d’innovation financière, c’est la naissance des options, des marchés à terme, des swaps, des couvertures de change. La Bourse entre dans une nouvelle ère, celle des produits dérivés. Ces polices d’assurance à la réputation sulfureuse, révélées au grand public pour avoir précipité la crise des subprimes à travers les dérivés de crédit CDO.

Art divinatoire

Rien qu’en Europe, le marché des dérivés dépasse les 450.000 milliards d’euros, selon les chiffres dévoilés aujourd’hui par l’Autorité européenne des marchés financiers, qui précise que les dérivés sur actions comptent pour 48% des transactions totales. Aux Etats-Unis aussi, où le marché est plus vaste encore, les options sur actions comptent pour le gros des échanges. « Sur les actions, les indices, les risques sont surtout baissiers à l’inverse du marché du pétrole où l’on cherche surtout à se prémunir contre une hausse des cours de l’or noir, nous explique un trader. On achète donc essentiellement des ‘puts’ », un contrat qui donne le droit à l’acheteur de vendre une action ou un indice – selon le sous-jacent choisi – à un prix décidé à l’avance (prix d’exercice ou strike) durant une période déterminée ou à une date fixée.

Ici, la valeur de l’option « put » va prendre de la valeur à mesure que l’action ou l’indice de référence va reculer. Le prix d’une option dépend aussi de la volatilité implicite, c’est-à-dire du sentiment subjectif de marché, de l’offre et de la demande ; plus on a peur, plus on va vouloir se protéger.  C’est là qu’intervient l’indice Skew de la Bourse de Chicago, apparu après le krach de 1987 en jauge de la nervosité des boursiers. Construit à partir des options disponibles sur le S&P 500, il nous rencarde sur la volatilité implicite des différents produits. Et maintenant que Wall Street vole de record en record, les boursiers sont tellement peu sereins qu’ils sont prêts à payer de plus en plus cher pour acheter des « puts » pour lesquels le prix d’exercice est très éloigné. Autrement dit, pour eux, il est de plus en plus probable que la Bourse chute. Le skew flirte aujourd’hui avec les 150 points. « Le marché ‘price’ un risque très élevé de correction très élevé », nous dit le trader. Les craintes n’ont même jamais été aussi élevées, sauf en mars, quand le risque politique en Europe et la rechute des cours du pétrole donnaient des sueurs à la Bourse. Or, depuis, toujours pas de krach. L’art divinatoire des dérivés n’est pas infaillible.

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