Analyse et Stratégie : Des « championnes », exposées à la Chine et à l’Inde, ces entreprises du Cac 40 propulsées à des plus hauts en Bourse en 2019

A côté des indices américains Dow Jones, S&P 500 et Nasdaq Composite, comparé au benchmark MSCI World des pays développés ou même au Stoxx 600 des grandes valeurs européennes, tous au plus haut historique, le Cac 40 fait petit bras. Pour le baromètre de la Bourse de Paris, 2019 n’a pas été l’année des sommets (sauf à comptabiliser l’indice « dividendes réinvestis ») mais celle du retour aux niveaux de l’été 2007, ceux d’avant l’éclatement de la bulle immobilière. Grâce à son gain d’un peu plus de 26%, comparable aux performances des autres grands indices mondiaux, le Cac 40 a effacé le traumatisme laissé par le krach des subprimes.  

Par contre, la Bourse de Paris n’a pas retrouvé ses records de septembre 2000, à presque 7.000 points ; c’était avant que la frénésie entourant les valeurs technologies ne tourne à la déroute. Il y a tout de même des entreprises du Cac 40 qui, sur l’année écoulée, ont été propulsées à des records. Quatorze au total. Toutes des championnes dans leur domaine, « si elles ne sont pas numéro 1, elles sont numéro 2 ou pas loin, analyse Catherine Garrigues, à la tête de la gestion actions Europe chez Allianz GI. L’année 2019 avait commencé avec des craintes de récession, sur fond de guerre commerciale, de nouvelles normes antipollution dans l’automobile. Il était facile d’avoir un scénario noir, surtout après dix ans de croissance économique. Alors, les investisseurs ont plébiscité la visibilité, ils sont allés chercher la croissance là où elle était. »

Vers qui se sont-ils tournés ? Vers les incontournables du luxe : Hermès, Kering, LVMH, L’Oréal et, par extension, Pernod Ricard, propriétaire du champagne Mumm ou encore du whisky Rabbit Hole dont les bouteilles sont vendues entre 50 et 80 dollars. Vers Airbus et le motoriste Safran dans l’aéronautique. Vers EssilorLuxottica, malgré une gouvernance fragile et des mois de lutte de pouvoir entre Français et Italiens. Vers Schneider Electric et Legrand, qui profitent notamment des travaux de rénovation énergétique. Vers le spécialiste des gaz industriels Air Liquide, leader mondial de l’oxygène et de l’hydrogène. Et aussi vers Danone, Dassault Systèmes, l’éditeur de logiciels spécialisé dans la conception 3D, « une technologie qui s’impose dans tous les secteurs d’activité », commente Tangi Le Liboux, stratégiste chez Aurel BGC, et Vinci. Le groupe de BTP diversifié dans les péages autoroutiers et les services aéroportuaires a bénéficié « de la hausse du trafic dans les aéroports, une tendance forte grâce à l’essor de la classe moyenne dans les pays émergents. » La Chine et l’Inde sont d’ailleurs les deuxième et troisième marchés de Pernod Ricard. L’objectif du groupe de spiritueux en Inde est de conquérir 20 millions de nouveaux clients chaque année. 

Dans le Top 10 des entreprises du Cac 40 qui ont le plus progressé en 2019, huit figurent parmi celles qui ont signé des records au cours de l'année.

Dans le Top 10 des entreprises du Cac 40 qui ont le plus progressé en 2019, huit figurent parmi celles qui ont signé des records au cours de l'année.

Dans le Top 10 des entreprises du Cac 40 qui ont le plus progressé en 2019, huit figurent parmi celles qui ont signé des records au cours de l’année. | Crédits photo : FacSet

L’essor de la classe moyenne émergente

Ces entreprises « sont exposées à des activités qui sont assez peu dépendantes de la croissance occidentale, poursuit M. Le Liboux. Elles ont une stratégie à long terme, qui délivre des résultats depuis des années. Les marges sont en progression ou alors elles se maintiennent à niveau élevé. Les entreprises qui battent des records en Bourse ne sont pas cycliques, donc pas contraintes à restructurer en permanence parce que les marges ont baissé. De manière plus générale, elles n’ont pas de défi à relever sur le cœur de leur business model. »

Et puis, « certains records ont été faits dans un environnement de surprise, fait remarquer Alexandre Baradez, analyste de marché chez IG. Si on prend le cas d’Airbus, rien de ne pouvait laisser envisager une année aussi noire pour Boeing. Au-delà de l’appétit pour le risque ou des fondamentaux de l’entreprise, une situation particulière est venue accentuer le mouvement. On ne peut évidemment pas faire le même constat pour le secteur du luxe français ; lui n’a pas profité des déboires de concurrents. Mais une partie de sa performance peut être attribuée à sa bonne résistance face ralentissement de l’économie chinoise et aux fortes tensions sociales à Hong Kong qui ont plongé l’ex-colonie britannique en récession. »

De toutes les manières, nous dit un trader, dans un univers de taux d’intérêt extrêmement bas, voire négatifs, les boursiers n’avaient pas d’autres choix que d’investir en actions. C’est « l’effet Tina », « There Is No Alternative ». Simplement, « ils ont choisi celles qu’ils jugeaient les moins à risque. » Ce qui s’est traduit, au niveau européen, par de la défiance vis-à-vis des banques, des opérateurs télécoms et des constructeurs automobiles. « La visibilité se paye cher, mais les taux bas aident », la valeur financière d’une entreprise s’évaluant, d’après la méthode DCF, par actualisation des cash-flows futurs. Derrière ce jargon professionnel, une question : que valent aujourd’hui les flux financiers de demain ? Que ce soit pour refléter le goût de l’humain pour la jouissance immédiate (un euro d’aujourd’hui vaut plus qu’un euro de demain) ou pour intégrer le coût du risque (le boursier a besoin d’une prime pour préférer la Bourse aux revenus sûrs du Livret A ou d’une obligation souveraine allemande), les taux d’intérêt sont une variable clé. 

Des « banques » au plus haut à Milan

Les taux bas ont également permis à des entreprises comme l’espagnole Cellnex de grossir à faible coût dans un métier où plus tu es gros, meilleures sont tes marges. La société est spécialisée dans les infrastructures télécoms et plus spécifiquement dans les antennes-relais qu’elle loue aux opérateurs. Ces derniers, pour faire face à leurs investissements dans la fibre et la 5G, ont vendu leurs tours à Cellnex qui, pour en maximiser la rentabilité, agrège plusieurs opérateurs par pylone. Cette année, la « towerco » a doublé de valeur en Bourse, après avoir déjà gagné 64% au cours des deux années précédentes. Cellnex fait partie des cinq entreprises de l’indice vedette de la place de Madrid qui ont atteint des records cette année.

Sur l’Ibex 35, Ferrovial, sorte de Vinci local, qui gère notamment l’aéroport de Heathrow à Londres et des autoroutes outre-Atlantique, a également visité des plus hauts en Bourse, de même que le fournisseur d’électricité et de gaz Endesa. A Milan, son homologue Hera, diversifié dans la gestion de l’eau, et le distributeur de gaz Italgas ont, eux aussi, visité des sommets, là où, en France, Engie vaut quatre fois moins qu’en 2008. « Parce qu’Engie n’est pas très clair avec le nucléaire », nous explique un opérateur de marché. Le nucléaire, écolo ou non ? Deux camps s’opposent. Alors, à l’heure où « le profil ‘vert’ d’une entreprise compte de plus en plus en Bourse », dans le doute, les investisseurs s’abstiennent sur Engie.

Au total, au sein de l’indice phare de la Bourse italienne, le FTSE Mib, elles sont quatorze entreprises sur quarante à avoir, en 2019, atteint des sommets. Et parmi elles, dans un pays qui flirte pourtant avec la récession, figurent Finecobank, spécialiste du courtage en ligne, et la poste italienne, qui tire près de la moitié de ses revenus des services financiers.

Au bout du compte, après avoir fait le tour des grandes places financières de la zone euro, celle de Francfort fait partie des moins performantes cette année. Le Dax 30, qui pourtant se calcule par défaut « dividendes réinvestis », n’a pas signé de record. L’indice allemand, fortement pondéré en valeurs automobiles (Daimler, Volkswagen, BMW, Continental), a progressé de 25,5% (+30,4% pour le Cac 40 « dividendes réinvestis ») et de 21,5% une fois l’indice retraité des dividendes. C’est mieux que l’Ibex 35 (+11,8%), mais moins que le FTSE Mib (+28,3%) ou, plus globalement, que l’Euro Stoxx 50 (+24,8%). Et sur les sept valeurs du Dax qui ont touché des records cette année, Adidas et MTU Aero Engines sont celles qui, grâce à un gain de 60%, ont le plus profité à l’indice allemand.

Les entreprises au plus haut en 2019

Sur le Dax 30 de Francfort :
Adidas, Beiersdorf (Nivea, Hansaplast), Deutsche Börse, L’Air Liquide allemand Linde, MTU Aero Engines, l’éditeur de progiciels de gestion SAP et la foncière Vonovia.

Sur l’Ibex 35 de Madrid :
Cellnex, Endesa, Ferrovial, Grifols et Merlin Properties.

Sur le FTSE Mib de Milan :
Amplifon, Campari, Diasorin, la holding de la famille Agnelli Exor et le constructeur Ferrari dans lequel elle a des parts, Finecobank, Hera, Italgas, Moncler, le groupe de service de paiements entré en Bourse cette année Nexi, Poste Italiane, Recordati et, enfin, les transporteurs de gaz Snam et Terna.


Investir – Analyses et opinions – Les Echos Bourse