Analyse et Stratégie : La peur d’une récession fait sa rentrée sur les marchés

par Patrick Vignal

PARIS, 30 août (Reuters) – La rentrée sur les marchés après une pause estivale agitée sera dominée par une question : la volonté des grandes banques centrales de se montrer accommodantes suffira-t-elle à écarter la menace d’une récession généralisée ?

Les annonces de politique monétaire que feront la Banque centrale européenne, le 12 septembre, et la Réserve fédérale américaine, six jours plus tard, sont particulièrement attendues, même si l’intention de la première de recommencer à baisser ses taux et la détermination de la seconde à continuer à le faire ne font guère de doute.

Le décor est planté depuis de longs mois avec des tensions commerciales persistantes entre les Etats-Unis et la Chine et des investisseurs qui s’inquiètent de plus en plus de leur impact sur l’économie mondiale et sur les bénéfices des entreprises.

Le moindre rayon d’espoir fait grimper les actions, comme cela a été le cas jeudi et vendredi avec la perspective d’une reprise des négociations entre les deux camps, mais il ne dure jamais bien longtemps et l’atmosphère est plutôt au pessimisme, comme en témoigne l’envol des prix des obligations souveraines, actif refuge par excellence.

Les investisseurs ont donc vu les rendements s’écrouler, celui des Treasuries à 10 ans touchant lundi dernier un creux de trois ans à 1,443%.

Il reste inférieur au rendement de plusieurs maturités plus courtes, ce qui caractérise la fameuse inversion de la courbe des taux qui signale historiquement l’amorce d’une entrée de l’économie américaine en récession.

L’écart entre les rendements des emprunts d’Etat américains à deux et 10 ans s’est accentué mercredi pour atteindre -6 points de base, du jamais vu depuis 2007, avant de se resserrer légèrement.

Autre signal d’alerte, le rendement des Treasuries à 30 ans, tombé mercredi en séance à un plus bas record, à 1,905%, et désormais sous l’objectif de taux de la Réserve fédérale (2%-2,25%).

LA BCE PRÊTE À PASSER À L’ACTION

Les marchés évaluent à 100% la probabilité d’une baisse des taux d’intérêt le mois prochain aux Etats-Unis, selon le baromètre FedWatch de CME Group.

Quant à la BCE, elle a clairement affiché sa volonté de prendre toutes les mesures d’assouplissement nécessaires pour soutenir l’activité de la zone euro. Elle ne devrait pas tarder à passer à l’action avec des indicateurs manufacturiers et des indices de confiance qui ne cessent de dégrader et avec l’Allemagne, première économie d’Europe, déjà au bord d’une récession, à savoir deux trimestres consécutifs de contraction du produit intérieur brut (PIB).

Plusieurs responsables monétaires européens ont toutefois cherché à tempérer les attentes des investisseurs estimant que la BCE pouvait les décevoir voire que les conditions pour vaste soutien monétaire n’étaient pas réunies.

Les largesses des banques centrales suffiront-elles à offrir un second souffle aux indices boursiers ? Les gros gestionnaires d’actifs n’en sont pas certains, à l’image d’UBS, qui vient de passer à « sous-pondérer » sur les actions afin de réduire son exposition aux risques politiques.

L’impact direct sur l’économie américaine de la bataille commerciale que se livrent Pékin et Washington devrait être limité mais les risques sont en augmentation pour l’économie mondiale comme pour les marchés, argumente Mark Haefele, directeur des investissements de la branche de gestion de fortune de la banque suisse.

« Nous pensons qu’il est prudent de réduire le risque mais nous ne préparons pas pour autant nos portefeuilles à une récession classique ou à la prochaine grande crise financière », ajoute-t-il toutefois.

Les marchés actions mondiaux devraient continuer de progresser au cours des prochains mois, pensent pour leur part des responsables de la stratégie interrogés par Reuters pour des enquêtes publiées jeudi.

La volatilité devrait cependant rester forte au gré des mesures de soutien des banques centrales et de l’évolution des négociations commerciales entre la Chine et les Etats-Unis, estiment-ils.

LA MENACE D’UN BREXIT « DUR » SE PRÉCISE

D’autres sont carrément optimistes, comme les stratèges d’Unigestion, qui voient le contexte macroéconomique s’améliorer grâce aux bonnes dispositions des instituts d’émission.

« La situation n’est certes pas parfaite mais pourrait devenir plus positive d’ici quelques mois, l’offre abondante de crédit finissant par se transformer en demande », écrivent-ils.

Une stabilisation de la guerre commerciale pourrait constituer un deuxième déclencheur de la hausse des marchés d’ici à la fin de l’année, ajoutent-ils en faisant valoir que la Chine, malgré la fermeté qu’elle affiche, a tout autant besoin d’un accord que Donald Trump, soucieux pour sa part d’éviter un effondrement du commerce mondial qui menacerait sa réélection.

En Europe aussi, les risques politiques pèsent sur les marchés. Si la perspective de nouvelles élections paraît écartée en Italie, où le président Sergio Mattarella a chargé jeudi Giuseppe Conte de former un nouveau gouvernement de coalition entre le Mouvement 5 Etoiles et le Parti démocrate, celle d’un Brexit sans accord est plus menaçante que jamais.

Boris Johnson a demandé mercredi la suspension des travaux du Parlement de Westminster à partir d’une date comprise entre le 9 et le 12 septembre et jusqu’au 14 octobre, soit deux semaines seulement avant la date prévue du Brexit.

La reine Elizabeth a approuvé sa demande. Le Premier ministre britannique peut ainsi raccourcir la durée de la session parlementaire, ce qui a suscité un tollé dans l’opposition et même dans certains cercles conservateurs. Sur les marchés, la livre sterling a accusé le coup sans s’effondrer pour autant.

Outre d’éventuels « tweets » perturbateurs signés Donald Trump, les marchés guetteront dans les jours qui viennent une batterie d’indicateurs, notamment des résultats d’enquêtes auprès des directeurs d’achat (PMI) en Asie et en Europe sur l’activité dans le secteur manufacturier (lundi) et celui des services (mercredi).

L’indicateur le plus surveillé sera, une fois de plus, le rapport mensuel sur l’emploi aux Etats-Unis, attendu pour vendredi et qui sera décortiqué non seulement par les investisseurs mais également par les décideurs de la Fed, sur le point de jouer à nouveau les pompiers de service.

(édité par Marc Joanny)


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