Analyse et Stratégie : Pour Trump, le rebond de la Bourse, c’est grâce à lui, et les stratégistes ne lui donnent pas tort

Hier, mardi 24 mars, séance euphorique en Bourse. Un « énorme » rally, comme qualifié par Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank à Londres, qui doit beaucoup au président américain. « Il nous semble qu’une grande partie est due au fait que Trump a adopté [lundi, lors de sa conférence de presse quotidienne sur le coronavirus] une position plus agressive contre les fermetures prolongées », explique-t-il.

Ce soir-là, au jour 7 du plan « 15 jours pour ralentir la propagation », le locataire de la Maison-Blanche a confirmé ce qu’il avait déclaré plus tôt sur Twitter, à savoir qu’il réfléchissait à remettre la population au travail, laissant entendre que le retour aux affaires pourrait se faire dès la semaine prochaine, dans le respect des règles de « distanciation sociale ».

« Le Dow Jones a enregistré hier sa plus forte hausse depuis 1933 et le président s’en félicitait, commente Vincent Boy, analyste de marché chez le courtier IG France. Il précisait même qu’une partie de la hausse devait être attribuée à sa décision portant sur un retour de l’activité rapide au sein de la première économie mondiale. »

« On peut détruire un pays »

Le Dr Anthony Fauci, grand expert des maladies infectieuses qui conseille le gouvernement, a depuis rectifié le tir, expliquant que ce serait une grave erreur de la part des Etats-Unis d’en finir avec les mesures de confinement. Le spécialiste, qui rapporte dans la presse américaine ô combien il est difficile de gérer le président, n’était pas présent aux côtés de Donald Trump lundi soir lors de la conférence de presse ; il était à une réunion de la task force « coronavirus ». La veille, dans une interview à Science Magazine, il déclarait : « Il suit sa propre voie. Il a son propre style. Mais sur les questions de fond, il écoute ce que je dis. »

Hier, lors d’une interview à la chaîne de télévision conservatrice Fox News, Donald Trump était toujours déterminé à « rouvrir [le pays] rapidement », mais apparemment moins rapidement que prévu. Il « adorerai[t] rouvrir d’ici Pâques », soit d’ici à trois semaines. Le président a justifié cet empressement par la crainte de voir « le remède être pire que le mal », mantra qu’il répète beaucoup ces derniers jours. « On peut détruire un pays en le fermant de cette façon », a-t-il opposé sur Fox News. Une « grave récession » pourrait faire plus de morts que l’épidémie, entraînant « des suicides par milliers. »

Juste avant, le conseiller économique de la Maison-Blanche, Larry Kudlow, déclarait à la chaîne financière Fox Business que « l’idée [était] de rouvrir les endroits qui ne sont pas des zones chaudes du coronavirus afin d’aider l’économie. » L’argument selon lequel certains États pourraient redémarrer et d’autres – comme New York, épicentre de la maladie aux Etats-Unis – maintenir des mesures restrictives est très critiqué compte tenu de la facilité avec laquelle le virus se transmet. La communauté scientifique n’est pas la seule à monter au front, de nombreux politiques et économistes donnent également de la voix. Véronique Riches-Flores, fondatrice du cabinet indépendant RichesFlores Research, rappelle que « l’expérience a montré que le confinement strict était la meilleure façon de contrer la propagation du virus. Donald Trump n’est pas le premier dirigeant à être réticent sur ces mesures drastiques, mais tous les pays sérieusement confrontés à l’épidémie ont fini par se rendre à l’évidence qu’ils n’avaient pas le choix. »

Les Etats-Unis, premier foyer du coronavirus

« Cette communication positive [de Donald Trump], dont il a usé pendant deux ans lors des ‘négociations’ sur l’accord commercial avec la Chine, continue de faire son effet, constate Vincent Boy d’IG France, mais montre encore une fois la priorité du chef de l’Etat de maintenir les marchés financiers à flot, plutôt que de ralentir l’épidémie. Et encore une fois nous répétons que la reprise de l’activité et le retour à la croissance ne pourra se faire sans un recul net de la pandémie de Covid-19, qui a fait plus de 700 victimes aux Etats-Unis selon le dernier rapport. »

D’ici à ce week-end, le pays, qui comptait hier plus de 50.000 cas, deviendra le premier foyer mondial de la maladie. Là-bas, le nombre de nouveaux cas augmente un peu plus tous les jours, suivant une trajectoire exponentielle, « en particulier à New York où les 25.665 cas représentent plus de 6% de l’ensemble des cas dans le monde et près de la moitié des cas aux États-Unis, note-t-on chez Deutsche Bank. Le gouverneur Cuomo a annoncé que l’État testait maintenant à un taux par habitant plus élevé que celui de la Corée du Sud et la Chine. »

Les Etats-Unis sont à un carrefour, explique le stratégiste Jim Reid. Soit Donald Trump a raison et le pays échappe « au plus gros de la crise économique encore à venir », soit il a tort et les Etats-Unis « pourraient finir par faire ce que l’Europe fait, mais plus tard, et dans les deux cas, ils devront faire face aux retombées politiques et humaines. » Les décisions auront des conséquences « épiques ». Si Donald Trump devait s’obstiner, Véronique Riches-Flores prévient que « la situation sanitaire aux Etats-Unis et le délabrement du système de santé [le] conduiront probablement à changer d’avis, plus tard… Ce sera autant de vies perdues par ignorance et obstination et autant de risques de voir le choc économique et social, in fine, accentué. »

Le dernier mot aux gouverneurs

Avec la crise qui déforme la notion du temps, qui allonge les minutes, avec l’afflux constant d’informations nouvelles, Pâques « est encore très loin. Beaucoup de choses peuvent changer d’ici là », temporise Jim Reid.

La décision de « rouvrir » ou non n’appartient pas à Donald Trump. Les gouverneurs ont l’autorité ultime sur les Etats. Et depuis la semaine dernière, celui de New York, la Californie, l’Illinois, le New Jersey et le Connecticut sont confinés. Ils ont été rejoints lundi par les Etats de Washington, du Michigan et du Nouveau-Mexique, et le gouverneur de Californie a durci les restrictions. Un tiers de la population américaine est cloîtrée chez elle.

Et quand bien même ils décidaient de revenir sur leur ordre de rester à la maison, par choix ou cédant à la pression politique, la population ne serait-elle pas nerveuse ? Avec la possibilité de suivre en quasi temps réel la propagation de la maladie, l’augmentation du nombre de décès, les consommateurs ne se tiendraient-ils pas à bonne distance ? Certains affirment déjà qu’un système de santé débordé empêcherait toute reprise économique.

1.200 dollars pour chaque Américain adulte

Le gigantesque plan de relance de 2.000 milliards de dollars qui a désormais le feu vert du Congrès (même s’il n’est pas encore voté) « ne suffira pas à empêcher une forte baisse du PIB [des Etats-Unis] au deuxième trimestre, juge l’économiste Andrew Hunter chez Capital Economics, mais cela devrait contribuer à soutenir la reprise une fois que l’épidémie de coronavirus aura été maîtrisée. » Parmi les mesures de ce plan, le versement aux Américains adultes de 1.200 dollars (contre 1.000 initialement envisagés), avec toutefois des conditions de ressources, comme demandaient par les démocrates. Seuls les adultes gagnant moins de 99.000 dollars par an recevront ce montant. Les enfants recevront 500 dollars. Ce qui portera le coût total de cette mesure à environ 300 milliards de dollars.

Les prêts aux petites entreprises, qui se transformeront en subventions si celles-ci les utilisent pour maintenir leur masse salariale, coûteront près de 370 milliards de dollars.

Autre mesure importante, pour 200 milliards de dollars, les législateurs ont accepté une augmentation temporaire significative de l’assurance chômage qui couvrira 100% des salaires perdus pendant quatre mois, une décision « sans doute stimulée, avance-t-on chez Capital Economics, par les rapports faisant état d’une augmentation sans précédent des demandes d’allocations de chômage dans le pays au cours de la semaine dernière. »


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