Analyse et Stratégie : Seulement deux semaines de collecte en un peu plus d’un an pour les fonds d’actions européennes… Mais alors pourquoi la Bourse monte ?

« Une nouvelle semaine et toujours la même histoire. » Une nouvelle fois, dans un contexte qui reste marqué par les craintes sur la santé de l’économie mondiale, les fonds spécialisés dans les investissements en actions ont subi une décollecte nette la semaine dernière. C’est ce que rapporte le dernier « Flow Show » de Bank of America Merrill Lynch.

Comme à chaque fin de semaine, la banque américaine met des mots, des graphiques, de la couleur sur les données brutes de l’EPFR Global, cette société de recherche bien connue des professionnels de la finance pour son suivi des flux de souscription chez les grandes maisons internationales de gestion. Et, selon son dernier rapport, la préférence des investisseurs pour les obligations était encore manifeste. Sur la semaine achevée au 24 avril, écourtée par le long week-end de Pâques, les fonds spécialisés dans les titres de dette ont enregistré une 14e semaine d’affilée d’entrées nettes de capitaux (+ 9,9 milliards de dollars), « reflet de [leur] conviction grandissante que les banques centrales ne relèveront plus jamais les taux. »

En revanche, « le manque de clarté sur la croissance mondiale dissuade les investisseurs d’aller chercher du risque sur les actions », constatent les stratégistes de la banque. La décollecte sur les fonds investis en actions atteint désormais 95 milliards depuis le début de l’année (- 4,4 milliards la semaine au 24 avril). Elle a été « notable » sur les actions américaines (- 6,4 milliards sur la semaine, – 40,1 depuis le début de l’année) quand, s’agissant des actions européennes, la décollecte est entrée dans sa 56e semaine sur 58 (- 1,9 milliard sur trois jours, le Vendredi saint et le lundi de Pâques étant chômés sur les marchés du Vieux continent, – 48,5 milliards sur 2019). Dit clairement, en un peu plus d’un an, les fonds investis en actions européennes n’ont enregistré que deux semaines de collecte. Pourtant, le Cac 40 n’est pas loin de ses plus hauts d’un an, tandis que les grands indices américains sont à des records. Par quel miracle ? Sous quelle impulsion ? Et d’abord, est-ce que les chiffres d’EPFR Global sont fiables ? Hugues Le Maire, fondateur de LM Invest France, n’en est pas si sûr. « Les chiffres de flux sont à prendre avec précaution. Ils sont excessivement compliqués à établir, notamment du fait de la multitude des intervenants sur le marché (institutions, privés, résidents et non-résidents, en direct et via des Sicav…). »

La décollecte sur les fonds investis en actions atteint désormais 95 milliards de dollars depuis le début de l’année. - 40,1 milliards pour ceux qui font leur marché à Wall Street. - 48,5 milliards pour ceux investis en actions européennes. Contre la tendance, les fonds spécilaisés sur les actions japonaises affichent des entrées nettes de capitaux (+ 5,1 milliards depuis le début de l'année).

La décollecte sur les fonds investis en actions atteint désormais 95 milliards de dollars depuis le début de l’année. - 40,1 milliards pour ceux qui font leur marché à Wall Street. - 48,5 milliards pour ceux investis en actions européennes. Contre la tendance, les fonds spécilaisés sur les actions japonaises affichent des entrées nettes de capitaux (+ 5,1 milliards depuis le début de l'année).

La décollecte sur les fonds investis en actions atteint désormais 95 milliards de dollars depuis le début de l’année. – 40,1 milliards pour ceux qui font leur marché à Wall Street. – 48,5 milliards pour ceux investis en actions européennes. Contre la tendance, les fonds spécilaisés sur les actions japonaises affichent des entrées nettes de capitaux (+ 5,1 milliards depuis le début de l’année).

Hausse dans le vide, sans conviction

Reste que la Bourse est montée dans le vide, à la façon d’un joueur de poker qui, en payant (un peu) pour voir, ferait monter le pot. « Le marché a fortement progressé, sans trop de volumes, et surtout sans beaucoup de conviction », acquiesce Hugues Le Maire. C’est surtout vrai en Europe, et encore plus en France, où la « Bourse intéresse moins. » A la base, il y a « un manque de culture et d’intérêt » auquel s’ajoutent des contraintes réglementaires. « S’agissant des institutions, celles-ci sont (très) fortement encadrées par les contraintes posées par Solvency II pour les assureurs et Bâle 3 pour les banques. Pour les clients privés, jusqu’à une période récente, la fiscalité en France était souvent confiscatoire. »

Globalement, « le rally d’actions s’est fait sans flux », porté notamment par le réinvestissement d’une partie des poches de « cash » des gérants, faisait remarquer à la mi-avril Antoine Lesné, directeur de la stratégie chez SPDR, filiale ETFs de State Street Global Advisors, l’un des cadors de la gestion passive mondiale. Cette observation, qui ne concerne pas les ETFs, s’inscrivait dans un commentaire général sur l’évolution des marchés actions au premier trimestre. Parce que dans une industrie de la gestion en crise, les fonds indiciels, beaucoup moins chers, continuent à enregistrer des flux nets entrants. + 39 milliards de dollars depuis le début de l’année (contre -134 milliards pour la gestion active), selon les chiffres d’EPFR Global. Après tout, quand la conviction n’est pas là, pourquoi prendre le risque de payer cher pour être investi ? Et à l’heure des réseaux sociaux, la préférence pour la gestion indicielle low-cost a d’autant plus d’assise que le syndrome du « Fear of Missing Out », cette peur de louper quelque chose, incite aux achats moutonniers ; ce qui prolonge la hausse des marchés. Surtout que l’illusion des séries, l’un des biais du comportement des investisseurs, les pousse à croire que ce que ce qu’il s’est passé avant – des mois, des années en arrière – se produira à l’infini, que la tendance future répliquera la tendance passée.

Ceci dit, la psychologie n’explique pas tout aux records de Wall Street. Aux Etats-Unis, où les marchés sont tellement gros qu’ils dictent la tendance à la planète finance, les pirouettes comptables des entreprises sont aussi à la manœuvre. Celles-ci, pour gonfler artificiellement leurs bénéfices par action, rachètent chaque année pour des centaines et des centaines de milliards de leurs propres actions. L’an dernier, pour les seules composantes du S&P 500, ces rachats ont dépassé les 1.000 milliards de dollars. Une première ! Pour 2019, la dynamique devrait rester forte malgré un ralentissement. JP Morgan table ainsi sur 800 milliards de rachats d’actions cette année. Comme en 2017, année du précédent record.


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