Analyse et Stratégie : Vu d'un coin de la Bourse, LGBT et catholiques ont les mêmes valeurs

L’entreprise « Church » excommuniée. Son nom, « église » en anglais, n’aura pas suffi à le mettre en odeur de sainteté auprès de l’émetteur de l’ETF « CATH », petit nom du tracker qui promet, selon son prospectus, de répliquer les performances boursières des sociétés du S&P 500 qui respectent « l’enseignement moral et social de l’église catholique. » Comme 37 autres, Church & Dwight n’a pas été retenue par Global X. Rapport à son métier : la vente de sextoys, sous la marque Trojan, et la commercialisation, entre autres produits d’hygiènes, de préservatifs. Johnson & Johnson, autre exclue, n’a pourtant plus sa marque de gels lubrifiants K-Y. Le groupe pharmaceutique l’a vendue, voilà maintenant quatre ans, au propriétaire de Durex, le britannique Reckitt Benckiser. Alors quoi, quel blasphème ? Le fabricant d’ETFs, qui dit suivre les directives de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis (USCCB), refuse de s’expliquer à l’unité, de pointer au cas par cas ce qui disqualifie telle ou telle entreprise. Mais à lire le tableau des règles d’exclusion qu’il nous a communiqué, ce qui dérange probablement chez J&J, comme chez Pfizer, Merck, UnitedHealth, Abbott Laboratories ou Bristol-Myers-Squibb, c’est la recherche sur les cellules souches.

Une entreprise sera disqualifiée par Global X si tant est qu’elle produit des « divertissements pour adultes. » La revente, elle, est acceptée dans une limite de 5% du chiffre d’affaires.

Une entreprise sera disqualifiée par Global X si tant est qu’elle produit des « divertissements pour adultes. » La revente, elle, est acceptée dans une limite de 5% du chiffre d’affaires.

Une entreprise sera disqualifiée par Global X si tant est qu’elle produit des « divertissements pour adultes. » La revente, elle, est acceptée dans une limite de 5% du chiffre d’affaires. | Crédits photo : Global X

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir »

Une entreprise sera disqualifiée par Global X si tant est qu’elle produit des « divertissements pour adultes. » La revente, elle, est acceptée dans une limite de 5% du chiffre d’affaires. Là, pas sûr que les règles d’investissement de l’USCCB soient aussi conciliantes. Au chapitre de « la promotion de la dignité humaine », sous-chapitre « endiguer la pornographie », est d’abord écrit : « La politique sera de ne pas investir dans une entreprise dont le but est d’exhorter à des pratiques sexuelles douteuses ou d’inciter à l’excitation sexuelle. » Si le terme de « but » peut être sujet à interprétation, la suite du commandement est clair : « Toutes les ressources seront mises en œuvre pour éviter de participer à des investissements qui y sont liés. » Pourquoi alors ce critère tout à fait hypocrite de Global X de s’arranger de la revente mais pas de la production ? La Conférence des évêques catholiques, qui voit dans la Bourse un moyen d’« assurer un retour sur investissement adéquat pour le soutien du travail de l’Église », dit d’elle-même « attendre de ses gérants qu’ils enregistrent au moins la même performance que celle du marché. » Impossible alors de faire l’impasse sur les cadors du S&P 500 ; les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam) qui pèsent à eux seuls 15% de l’indice et ont contribué, l’année dernière, à un tiers de sa hausse. A regarder plus loin dans le rétroviseur, depuis 2009, les secteurs de la technologie et de la consommation discrétionnaire (dans lequel sont rangés Amazon et Netflix) ont compté pour la moitié de la hausse de l’indice.

Pourquoi les Gafam sont-ils si courus des investisseurs ? Dans un monde à la croissance poussive depuis dix ans et la grande crise financière, les géants technologiques Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ont, par contraste, vu leur cours de Bourse progresser en moyenne de 40% par an. C’est, plus précisément, la performance que l’on obtient en partant de l’hypothèse assurément commode que le gain annualisé de 66% que Facebook affiche depuis cinq ans, et son introduction en Bourse en 2013, aurait été le même sur dix ans.

Chez Inspire Investing, on tire ses consignes directement de la Bible. Résultat, pas de Gafam, aucun des cinq géants de la technologie dans leur ETF « BIBL », là où Global X, moins bégueule, les a placés en tête de gondole de « CATH ». L’ADN de ces fonds est bien entendu différend : « BIBL » est un « Best in Class », composé des entreprises les plus révérencieuses de la foi chrétienne et juive, tandis que « CATH » est un fonds dit « excluant », composé de toutes les valeurs d’un indice à l’exception de celles qui sont contraires au filtre d’investissement socialement responsable (ISR) « catholique » mis en place par l’émetteur. « ‘BIBL’ exclut les entreprises qui vendent de la pornographie, ce qui n’est pas le cas de ‘CATH’. Par exemple, ‘CATH’ a des positions sur Netflix, Google (qui possède YouTube) et Amazon », explique Robert Netzly, le PDG d’Inspire Investing. Le gérant précise aussi que ses équipes s’attèlent à éplucher les activités philanthropiques des entreprises, pour « éliminer celles qui, par exemple, font des dons à des organismes comme Planned Parenthood, liés à l’avortement », ce que ne fait pas Global X, admet Jay Jacobs, le chef de la recherche et de la stratégie. Et cela se vérifie puisque qu’Apple, recensé parmi les donateurs du think tank pro avortement Center for American Progress et de plusieurs organismes de défense des droits civils des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT), dont Human Rights Campaign et Out & Equal, compte pour 4,42% des avoirs de « CATH », soit la plus grosse position du fonds, devant Microsoft (3,61%), également donateur.

Au bout du compte, « CATH » est un ETF sur le S&P 500 presque comme les autres. A ceci près qu’il a été vidé des groupes pharmaceutiques et des fabricants de matériel militaire (Boeing, Lockheed Martin, Northtrop Grumman). A part qu’il est facturé aux investisseurs trois à sept fois plus cher : 0,29% contre 0,09% pour SPY et 0,04% pour IVV et VOO, les trois plus gros ETFs du monde sur le S&P 500. « C’est une question d’échelle, justifie M. Jacobs de chez Global X. Les fonds indiciels standard ont des milliards de dollars d’actifs sous gestion (150 millions pour « CATH »), ce qui leur permet de demander des frais moins élevés. » C’est vrai. Mais cette réponse n’explique pas comment, par exemple, un fonds indiciel de la gamme Easy de BNP Paribas, qui fait aussi de l’exclusion, construit à partir de l’indice MSCI USA amputé des entreprises impliquées dans des activités liées aux armes controversées (bombes à sous munition, mines anti-personnels…), avec quatre fois moins d’actifs sous gestion, applique des commissions 4 points de base en dessous (0,25%). Sachant, en plus, que la réplication d’un indice très liquide comme le S&P 500, standard de surcroît, pour lequel les frais de licence sont moins élevés, devrait permettre à Global X d’être plus compétitif que BNP. Reste que l’habilité du gérant entre en ligne de compte. « Il doit travailler son fonds de manière à répliquer au plus près l’indice tout en optimisant les opérations sur titres et notamment les dividendes », éclaire Bertrand Alfandari, responsable du développement des ETFs au sein de la banque française, à qui nous avons demandé d’expliquer les déterminants des frais de gestion. En tout cas, assure ce dernier, « ce n’est pas l’étiquette ISR qui fait que c’est plus cher. »

 

« Énorme » potentiel de marché

N’empêche que, pour un gérant, faire de l’ISR peut rapporter gros. Rien que pour les fonds qui ciblent les chrétiens, il est question de milliers de milliards de dollars. « Des billions de dollars sont détenus par les catholiques, les évangélistes et les protestants aux Etats-Unis », quantifie Robert Netzly. Comment ne pas croire que, comme pour le « bio », ce label responsable, aux critères ESG (environnement, social, gouvernance) jugés bons pour les mœurs, la planète, le climat, la santé, l’équité, tourne au simple argument business pour ratisser un « potentiel de marché énorme », comme qualifié par M. Alfandari. « La thématique ESG n’est pas encore énormément développée. Avec 9,1 milliards d’euros d’encours, elle ne représente que 13% des ETFs en Europe sur lesquels on est à peu près 700 milliards d’euros. » Déjà, l’impulsion est là. Chez BNP Paribas, il s’observe au travers de l’ETF bas carbone, qui vient de fêter ses dix ans en Bourse. « Porté par les grands rendez-vous sur les enjeux du climat et notamment la COP21, les encours ont été multipliés par 2,5 en un an. On était à 60 millions d’euros il y a un an et demi et on est à 377 millions d’euros aujourd’hui. » L’approche ESG se généralise dans la gestion financière. Amundi, l’un des plus gros gérants d’actifs en France, s’est donné trois ans pour que tous ses fonds prennent en compte ces critères auxquels les Millennials sont très sensibles.

Tout le monde, les publicitaires, les entreprises, les banques ne jurent que par elle. La génération Y comptera en 2030 pour 75% de la population active mondiale, selon les chiffres du Boston Consulting Group. Forcément, les sociétés de gestion s’adaptent. Des ETFs portent déjà son nom. Il y a le « GENY » de Principal Financial Group, avec une exposition à des entreprises comme Wirecard (la fintech allemande qui profite du boom du e-commerce), Adidas, Fast Retailing (Uniqlo) ou Netflix, fers de lance du lifestyle bien particulier de cette génération née entre 1980 et 2000. Il y a aussi « MILN » de Global X, positionné sur Nike, Twitter, Starbucks ou Walt Disney. Et, dans ces deux trackers, du Apple, de l’Amazon, du Alphabet (Google) et du Facebook. Des Gafa qui chutent depuis deux mois et que les investisseurs préfèreraient ne plus avoir en portefeuille.

Ces quatre valeurs, cinq avec Microsoft, sont quasiment partout. Dans l’ETF « VEGAN » qui exclut les entreprises faisant de l’exploitation animale ou des tests. Dans « BUZ » qui cible les entreprises les plus commentées dans la presse, les médias sociaux et les blogs. Dans « WOMN », le tracker des entreprises qui promeuvent l’égalité homme-femme. Dans « PRID » d’UBS, pour le traitement équitable de la communauté LGBT. Ensemble, les ETFs, ISR ou non, détiennent entre 20 et 30% des Gafam alors que ces fonds ne représentent que 15% des encours mondiaux sur actions (20% pour le S&P 500). Que l’investisseur institutionnel soit l’Eglise, une mutuelle, un fonds de pension ou une assurance, la raison est toujours la même. Tous ont en tête qu’« il est impossible de battre l’indice de référence sur le long terme, les études le montrent », explique Frédéric Dodard, responsable de l’investissement pour la France chez State Street Global Advisors, l’émetteur du plus gros ETF du monde. Et voilà comment, par appât du gain, la Bourse arrive à concilier valeurs LGBT et catholiques. 90% des entreprises dans lesquelles « PRID » est investi sont identiques à celles de « CATH ». Ce serait l’Église moderne de Lenny Belardo, version saison 2 de « The Young Pope », si ce n’était pas celle de Tartuffe.


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