Analyses et opinions : A l’heure du Covid-19, une saison des assemblées générales « à distance »

Le gouvernement pouvait opter pour une prorogation généralisée des assemblées, mais la plupart des sociétés, notamment les grandes, y étaient opposées pour des raisons tenant à des difficultés de re-convocation, de timing au sein de l’exercice, de difficultés envers les marchés financiers et les actionnaires en attente d’un dividende. Il a donc choisi, par la voie d’une ordonnance, une autre formule visant à faciliter la tenue des AG et des conseils : la permission de les organiser non pas à « huis clos mais plutôt à distance », a tenu à corrigerJean-Jacques Daigre, professeur émérite de droit des affaires de l’Ecole de droit de La Sorbonne et avocat associé KPMG lors d’un webinaire organisé par l’Hebdo des AG. « Et ce en utilisant les moyens de communication audiovisuelle et téléphonique. »

Rétroactivité au 12 mars

L’ordonnance sera en vigueur de plein droit jusqu’au 31 juillet 2020 – toutes les AG pourront donc se tenir de manière exceptionnelle jusqu’à cette date – sachant que le texte prévoit une éventuelle prolongation jusqu’au 30 novembre 2020, mais il faudra alors une décision en Conseil d’Etat. Certaines sociétés ayant déjà tenu leurs AG, il a été décidé que l’ordonnance sera rétroactive au 12 mars, mais ne pourront bénéficier de la ratification rétroactive que les assemblées qui se sont déroulées par anticipation conformément aux dispositions de l’ordonnance, c’est-à-dire via « visio-conférence ou télécommunication », a précisé Jean-Jacques Daigre. « Ces dispositions existaient déjà dans le Code du commerce. » Les réunions qui se sont tenues totalement à huis clos ne sont pas concernées par l’ordonnance et encourent le risque d’une annulation si un actionnaire décide de saisir la justice. La question se pose alors pour Elior, dont l’assemblée a été pré-enregistrée le 18 mars et diffusée le 20 mars… 

A distance, certes, mais encore faut-il que les assemblées puissent être organisées de manière fiable, souligne Bertrand Pruvost, membre de l’équipe Leadership de l’Audit, commissaire aux comptes associé chez KPMG. « Pour les conseils d’administration et de surveillance, je ne vois pas de problème à leur tenue dans un contexte de confinement. Les administrateurs se connaissent et si l’un d’entre eux est connecté par téléphone, ce qui est une pratique courante, le secrétaire de séance saura reconnaître leur voix et pourra ainsi les authentifier. » Mais la question peut devenir plus complexe lorsqu’un administrateur est en bisbille avec un minoritaire qu’il représente.

Pour les AG, la question de l’identification de la personne connectée n’en est pas une seule, selon Jean-Jacques Daigre. « Quand une société cotée convoque ses actionnaires pour une assemblée générale, elle respecte des modalités qui tiennent compte du fait que la totalité, ou la quasi-totalité, détiennent des actions ‘au porteur’ et sont donc inconnus. »

De plus en plus de reports d’AG

La tenue des AG à distance suppose, en revanche, que tout le monde soit équipé, et bien équipé. Cela va pousser les entreprises à mettre en place des dispositifs fiables permettant de voter et de poser des questions en direct, ce qui peut impliquer des investissements importants pour sécuriser les connexions et les votes.
Sitôt l’ordonnance publiée, certaines sociétés ont décidé de reporter leur AG après, espèrent-elles, la fin du confinement. C’est le cas de LVMH qui réunira ses actionnaires le 30 juin en lieu et place du 16 avril. Accor, Renault, Valeo ou Vinci s’ajoutent à la liste. Pourquoi un tel choix ? Peut-être parce que les AG physiques sont l’un des rares moments où les entreprises peuvent échanger directement, en face-à-face, avec leurs actionnaires. Aussi peut-être qu’elles veulent se donner plus de temps pour réfléchir au dividende, dans un contexte chahuté et incertain, peut-être pour préparer plus sereinement ce rendez-vous.


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