Analyses et opinions : Le temps du « dégagisme »

La langue française, qui a le génie de la clarté, adore les néologismes qui permettent de qualifier d’un seul mot une situation a priori complexe. Celui qui convient le mieux à la folle campagne présidentielle à laquelle assistent aujourd’hui les Français abasourdis est le néologisme « dégagisme », avec sa petite pointe de populisme tout à fait dans l’air du temps. Le mot s’est parfaitement appliqué aux primaires, qui ont conduit à un renouvellement profond des têtes, de ce qu’on pourrait appeler l’« offre politique ». Avec, à droite, l’éviction de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé et, à gauche, celle de Manuel Valls et d’Arnaud Montebourg. Sans oublier, bien sûr, François Hollande, qui s’est « auto-dégagé » en annonçant, le 1er décembre, qu’il renonçait à se représenter.

Le syndrome du « dégagisme » n’épargne pas les structures politiques. Alors que se créent des mouvements comme En marche !, de Macron, ou la France insoumise, de Mélenchon, le Parti socialiste est menacé de sortir de l’histoire, le parti de François Mitterrand, fondé en 1971 sur deux idées fortes : l’ouverture vers la « nouvelle gauche » (le courant chrétien, notamment) et la suprématie sur le Parti communiste.

Cette construction mitterrandienne, qui a permis à la gauche d’accéder au pouvoir en 1981 et en 2012, est au bord de l’explosion. Benoît Hamon, vainqueur inattendu de la primaire de la gauche, n’est pas parvenu (mais a-t-il réellement cherché à le faire ?) à unifier le parti autour de sa candidature à l’Elysée. Il est vrai que son passé de frondeur et la petite guerre incessante qu’il a livrée à François Hollande et à Manuel Valls ne le prédestinaient ni à entonner le grand air du « rassemblement » ni même à concurrencer sur sa gauche Jean-Luc Mélenchon, les électeurs préférant toujours le maître à l’élève.

Résultat : Hamon perd sur les deux tableaux. La droite du PS rejoint Macron, comme Valls vient de le faire d’une manière franchement cynique. Et sa gauche est séduite par le mouvement de Mélenchon, qui remplace le PC déliquescent dans sa fonction tribunicienne d’opposant systématique préférant la critique extrême aux responsabilités de l’exercice du pouvoir.

Evidemment, la courbe des sondages n’a pas tardé à s’inverser. Hamon est passé derrière Mélenchon. L’oeuvre de Mitterrand est par terre. La gauche de gouvernement se retrouve dans une situation qui, toutes choses égales par ailleurs, évoque curieusement l’élection présidentielle de 1969, où le Parti communiste (DuclosMélenchon) s’était largement trouvé devant le candidat socialiste (Deferre-Hamon), presque à égalité avec le candidat centriste (Poher-Macron), mais derrière le candidat de la droite (Pompidou-Fillon). Il est vrai que comparaison n’est pas raison et qu’alors la France comptait 230.000 chômeurs. Et il n’y avait pas de candidat d’extrême droite.

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