Ariane 5, un lanceur mythique mais à bout de souffle

Ariane 5, centième ! Sauf report de dernière minute, le lanceur lourd européen décollera de Kourou ce soir pour le centième lancement de son histoire. Ariane 5 doit mettre en orbite deux satellites de télécommunication, Horizons 3e (Intelsat), et Azerspace/Intelsat 38, soit une masse totale de près de onze tonnes. La mission doit durer 42 minutes et 17 secondes exactement, avec un décollage prévu à partir de 23h53, heure de Paris. Avec ce lancement un peu spécial, le lanceur se rapprochera un peu plus des 116 lancements effectués par son prédécesseur Ariane 4. Un chiffre qu’Ariane 5 devrait approcher, voire dépasser d’ici sa retraite, prévue en 2023.

22 ans après son premier vol, le lanceur lourd commercialisé par Arianespace affiche déjà une carrière remarquable. Avec 205 satellites mis sur orbite, soit une masse totale de 782 tonnes, il a permis à Arianespace de devenir numéro un mondial des lancements de satellites commerciaux dans le monde. Un exploit, quand on sait que la fusée avait été calibrée à l’origine pour une mission très différente : Ariane 5 devait effectuer des missions de vol habité, en embarquant la navette spatiale européenne Hermès. Le projet confronté à des difficultés techniques et financières et à l’accident de la navette américaine Challenger en 1986, avait finalement été abandonné.

L’Europe spatiale s’était donc retrouvé avec un projet de lanceur surdimensionné pour des missions commerciales. Mais d’un obstacle, les industriels et les agences spatiales ont fait un avantage : puisque le nouveau lanceur pouvait emporter près de 10 tonnes en orbite géostationnaire (36.000 km), Ariane 5 a été adaptée pour pouvoir lancer deux satellites à la fois, un gros en position haute, et un petit en position basse de la coiffe. « L’objectif initial, que j’ai retrouvé dans de vieux dossiers, était de faire quatre tirs par an : deux de vols habité, et deux avec des satellites, raconte Alain Charmeau, patron d’Ariane Group, maître d’oeuvre d’Ariane 5 et Ariane 6. Ce lanceur, pensé pour d’autres missions, a survécu, et s’est même imposé comme le leader mondial des lancements commerciaux. C’est une aventure incroyable. »

Echecs initiaux

Cette belle histoire quand même connu de sacrés heurts. En 1996, premier coup dur : la fusée explose dès son vol inaugural. En 2002, c’est sa version lourde, dite ECA, qui tombe dans l’océan lors de son premier lancement. Il faudra des années d’efforts du CNES, d’Arianespace et de l’ESA pour sauver le programme. La récompense est au bout : Ariane 5 s’impose comme le leader du marché dans les années 2000 grâce à une fiabilité record, avec 82 lancements réussis de suite, jusqu’au semi-échec de janvier dernier, durant lequel le lanceur avait placé deux satellites sur une mauvaise orbite. Ceux-ci ont finalement rejoint l’orbite visée grâce à leurs réserves de carburant.

Si Ariane 5 a d’abord pu compter sur ses qualités propres, elle a aussi longtemps bénéficié d’un contexte favorable. Abreuvé de contrats institutionnels, le géant américain ULA, coentreprise de Boeing et Lockheed Martin, a lâché le segment commercial. Quant au russe Proton et au russo-américain Sea Launch, leurs échecs répétés les ont plombés face à une Ariane 5 beaucoup plus fiable.

L’ouragan SpaceX

Cet alignement de planètes a pris fin avec l’irruption de SpaceX et de son lanceur Falcon 9 sur le marché en 2010.

Avec ses lancements à prix cassés (62 millions de dollars), le groupe d’Elon Musk a ringardisé une Ariane 5 qui ne peut guère descendre sous les 150-160 millions de dollars pour deux satellites, un prix qui ne permet d’ailleurs pas à Arianespace de faire la moindre marge. La vieille dame a fait mieux que résister ces dernières années. Mais elle apparaît désormais beaucoup trop chère à produire pour résister à l’ouragan SpaceX et à la possible entrée sur le marché du lanceur New Glenn de Blue Origin, le groupe de Jeff Bezos, prévue au début des années 2020.

C’est donc à son successeur Ariane 6, dont le premier vol est prévu en juillet 2020, que reviendra la lourde tâche de défendre les positions européennes durant la prochaine décennie. Le futur lanceur, décidé en décembre 2014, présente trois avantages par rapport à Ariane 5 : il est conçu pour être 40 à 50% moins cher à produire. Il disposera d’un moteur réallumable, Vinci, qui permettra d’effectuer un plus large spectre de missions (orbites spécifiques, constellations de satellites…). Enfin, il sera modulable : la version Ariane 62, à deux étages à poudre (boosters) latéraux, sera optimisée pour les lancements institutionnels (militaire, exploration spatiale…), et devrait être facturée 70 millions d’euros (82 millions de dollars). La version Ariane 64, à quatre boosters, sera plutôt destinées aux lancements commerciaux. Ses lancements devraient être proposés à 115 millions d’euros (135 millions de dollars) pour deux satellites. La transition entre Ariane 5 et Ariane 6 est prévue sur trois ans, de 2020 à 2023.

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