Attentats : une addition budgétaire que Bruxelles devrait soutenir

« Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Trois jours après les attentats qui ont ensanglanté Paris, François Hollande a clairement défini ses nouvelles priorités devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles. A la clef, la promesse de 8 500 agents supplémentaires dans la police, la justice et les douanes, et l’annulation des 9 200 suppressions de postes de militaires prévues d’ici 2019. « Les engagements budgétaires européens de la France seront forcément dépassés, nous devons l’assumer et l’Europe doit le comprendre », a renchérit Manuel Valls, ce matin sur France Inter, alors que Paris s’est engagée à réduire son déficit public de 4% du PIB en 2014 à 3,3% en 2016 puis 2,7% en 2017. Dans quelle mesure les annonces présidentielles fragilisent-elles réellement la position financière du pays?

Ni chiffrage budgétaire ni calendrier précis

Il est vrai que la multiplication des annonces de recrutements donne quelque peu le tournis. Pour l’instant, Bercy n’a donné ni chiffrage budgétaire ni calendrier précis même si les décisions prises seront intégrées par amendement dans le projet de loi de finances 2016, voté aujourd’hui à l’assemblée et dont l’examen au Sénat a déjà commencé. Le ministère a toutefois tendance à en minimiser l’importance budgétaire. Certes, les sommes en jeu ne sont pas faramineuses à l’échelle de notre déficit public. Mais elles ne sont pas anodines pour autant.
C’est particulièrement le cas pour l’armée. Entre les annonces de janvier et celles du 16 novembre, ce sont au total 28 000 postes qui vont être préservés sur la période 2014-2019 dont plus de 20 000 d’ici 2017. En retenant, comme la Cour des comptes, un coût de 28 500 euros par militaire, cela revient à une dépense annuelle de 570 millions. Sans compter le matériel. « Financièrement, la loi de programmation militaire ne tient plus: les non-suppressions d’emploi ne sont pas financées tout comme le renouvellement des équipements des troupes », s’alarme le député LR François Cornut-Gentille. Quant aux autres ministères concernés (intérieur, justice, finances), ils récoltent, depuis janvier, 11 180 postes supplémentaires d’ici 2017.

14.000 postes supplémentaires

Ces mesures mettent clairement à mal l’engagement de François Hollande de stabiliser les effectifs de l’Etat sur le quinquennat. Certes, le gouvernement avait davantage supprimé de postes en 2013 et 2014 par rapport à son plan de route. Mais, selon nos calculs, la dérive totale s’élèvera fin 2016 à plus de 14.000 postes si les autres ministères ne se serrent pas davantage la ceinture. Ces dérapages ont des conséquences en termes de maîtrise de la masse salariale. En 2014, sa progression avait été contenue à 0,44 %, soit une hausse de 350 millions. Si le chiffre définitif de 2015 n’est pas encore connu, Bercy tablait déjà sur une progression de 700 millions pour 2016, avant même les attentats du 13 novembre. Un rythme trois fois plus rapide que ce qu’avait promis la France à Bruxelles dans son programme de stabilité.

Paris va-t-elle pour autant se faire taper sur les doigts? Pas vraiment. « Nous comprenons ce qu’est la priorité à la sécurité », a d’ores et déjà affirmé Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques, soulignant que le pacte de stabilité n’est « ni rigide, ni stupide ». Ainsi, le règlement européen concernant les déficits excessifs précise déjà qu’un dépassement est autorisé « s’il résulte d’une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’État membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ». En revanche, à moyen-terme, Bruxelles sera tout de même attentif à ce que la France lance enfin en œuvre de vraies réformes structurelles pour baisser ses autres dépenses.

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