Banni par les Etats-Unis, Huawei veut séduire les développeurs européens à tout prix

Huawei, géant chinois des télécoms proscrit par Washington, est venu en force au sommet européen de la tech cette semaine à Lisbonne pour attirer des développeurs d’applications pouvant nourrir ses propres plateformes et tenir tête à ses concurrents américains.

Le président du directoire tournant de Huawei, Guo Ping, a été mis à l’honneur en intervenant dès la séance d’ouverture lundi de cette édition du Web Summit, où le stand de la firme de Shenzhen domine les pavillons d’exposition.

Passant rapidement aux choses concrètes, ses équipes ont détaillé ses offres lors d’un atelier adressé à quelque 300 concepteurs d’applications pour smartphones qui a duré tout un après-midi et s’est conclu par un dîner offert dans la foulée.

« Nous voulons éviter que les développeurs ne se sentent laissés pour compte ou qu’ils considèrent que les obstacles pour accéder à notre programme de développement sont trop élevés », a commenté Jervis Su, vice-président des services mobiles de Huawei.

« Les applications et les logiciels sont à l’origine de la vraie valeur » sur Internet, a souligné Guo Ping après avoir vanté les possibilités de la 5G, la dernière technologie mobile dont Huawei est le leader mondial en matière d’équipements.

« Les développeurs emportent la part du lion des profits » générés par ce marché, a-t-il poursuivi devant un parterre d’entrepreneurs, dont la plupart proposent leurs services via une application pour smartphones.

– « Désaméricaniser » les produits –

M. Ping a ensuite rappelé l’annonce récente d’un investissement de 1,5 milliard de dollars en cinq ans dans des programmes de formation aux technologies innovantes destiné aux universités, instituts de recherche ou startup dans le monde. Une autre enveloppe de 1 milliard de dollars « vise à motiver les développeurs à innover » en finançant le développement ou le lancement de leurs applications.

Le président du directoire tournant de Huawei, Guo Ping, à Monaco le 9 juillet 2019 (AFP/Archives - VALERY HACHE)

Le président du directoire tournant de Huawei, Guo Ping, à Monaco le 9 juillet 2019 (AFP/Archives – VALERY HACHE)

Ces deux engagements avaient été pris plus tôt cette année, marquée par l’interdiction faite par l’administration Trump aux entreprises américaines de vendre des technologies au groupe chinois.

Huawei dément fermement les accusations d’espionnage potentiel au profit de Pékin, mais il a dû depuis fortement accélérer la « désaméricanisation » de ses produits.

Si ses téléphones peuvent encore utiliser le système d’exploitation Android, développé sous licence libre par Google, la disponibilité des services du géant américain (dont Gmail, Maps ou Youtube) ne tient qu’au sursis accordés par Washington.

Le groupe chinois tente donc de promouvoir auprès des développeurs sa propre collection de services, qui compte aujourd’hui 50.000 applications, dont son magasin nommé App Gallery, utilisé depuis 11 ans en Chine et lancé en Europe l’an dernier.

« Nous avons d’abord été approchés par Huawei pour rendre notre application disponible dans l’App Gallery », explique à l’AFP Adnan Selimovic, directeur technique d’une société de services aux traders.

– Baisse des commissions sur les jeux –

« Ils nous ont ensuite demandé d’approfondir notre collaboration en intégrant de nouvelles fonctionnalités, comme les notifications, puis nous ont aidé à créer des +widgets+ » interactifs, détaille le développeur venu d’Autriche qui, grâce à ce partenariat, a pu se passer d’une équipe de développeurs dédiée à l’écosystème Huawei.

Pour offrir plus de jeux sur sa plateforme, Huawei est également disposé à baisser à 15% sa commission sur les achats réalisés par les joueurs pour les deux prochaines années, alors que Google ou Apple prélèvent jusqu’à 30% des revenus des développeurs.

« Huawei essaye de sortir de l’étau dans lequel il est pris. Pour réussir en Europe, il va essayer d’attirer le maximum de développeurs car il n’a pas d’autre choix », explique à l’AFP François Candelon, analyste au Boston Consulting Group.

Huawei veut aussi préparer les développeurs à une éventuelle transition vers son système d'exploitation (OS) maison nommé HarmonyOS (AFP - PATRICIA DE MELO MOREIRA)

Huawei veut aussi préparer les développeurs à une éventuelle transition vers son système d’exploitation (OS) maison nommé HarmonyOS (AFP – PATRICIA DE MELO MOREIRA)

En développant ses propres outils et en apprenant aux concepteurs d’applications à les utiliser, Huawei les prépare aussi à une éventuelle transition vers son système d’exploitation (OS) maison nommé HarmonyOS, présenté en août comme un « plan B » pour remplacer cette fois Android.

En septembre, la marque à la fleur rouge s’était également montrée prête à investir dans un hypothétique projet d’OS sino-européen. « Cela résoudrait le problème de la dépendance numérique européenne », avait affirmé le dirigeant du directoire en exercice à l’époque, Eric Xu.

« Huawei ne pourra s’en sortir en Europe que s’il apparait comme étant beaucoup plus européen dans son objectif, c’est-à-dire s’il s’engage à faire de l’Europe une puissance numérique dans la décennie qui vient », pressent François Candelon.

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