Ce que cache la déclaration de guerre de Valls à Marine Le Pen

Dans le débat politique d’aujourd’hui, il est proscrit de « diaboliser » Marine Le Pen et le Front National. Ainsi l’ont édicté les éditorialistes qui pèsent et quelques intellectuels d’influence, Alain Finkielkraut en tête avec force et talent. Selon eux, les multiples tentatives de « diabolisation » ont débouché sur un naufrage électoral – on ne peut que leur donner raison – et il serait grand temps, afin de voir la réalité pour, éventuellement, combattre avec davantage d’efficacité, de créditer le FN d’un véritable retournement idéologique transformant le groupuscule d’extrême droite, fascistoïde et raciste, en un grand parti populiste. Cette vision-là est, au moins, contestable même si elle imprègne et inspire tant d’articles de presse et d’études, à droite comme à gauche. Et voilà que Manuel Valls, soudain, décide de rompre net avec ces certitudes du moment.

L’heure est à la stigmatisation du FN

Pour combattre Marine Le Pen et le Front National, le Premier ministre n’entend céder à aucune interdiction lexicale ou sémantique. Il ne faut plus utiliser « diabolisation », donc il choisit de contourner la fatwa en insistant désormais sur l’indispensable « stigmatisation » de Marine Le Pen, ce qui revient du pareil au même. Un mot pour un autre. Un mot pour slogan. Un mot pour déclarer la guerre non seulement au parti d’extrême droite, mais aussi aux nouveaux bien pensants tout puissants, au zénith de leur influence, dans la plupart des médias. A qui Manuel Valls a-t-il de la sorte choisi de s’en prendre ? À Marine Le Pen, cela va de soi, sans pour autant négliger une autre cible, certes moins importante, mais influente : la nouvelle « pensée unique » et ses hérauts, celle qui dénonce l’antiracisme comme responsable de tous les maux dont souffrent la société française, comme principal vecteur de la progression du FN. Valls a fait savoir haut et fort qu’il n’était plus question de se laisser intimider par cette vulgate simplificatrice.

D’où ces avertissements à répétition, on ne peut plus clairs, quant à la véritable nature du parti de Marine Le Pen : « J’ai peur que la France se fracasse contre le FN. Je n’ai pas peur pour moi, j’ai peur pour mon pays, qu’il se fracasse… Puis-je vous parler de mon angoisse, de ma peur pour mon pays ?… Le programme du FN jettera les Français les uns contre les autres… ». Cela fait bien longtemps qu’un chef politique issu du camp républicain ne s’était pas prononcé de façon aussi nette avec des mots aussi simples que forts. Manuel Valls accepte de courir un double risque politique – l’isolement une nouvelle fois au sein de son propre camp qui fera semblant de ne pas bien comprendre l’utilité de ce cri d’alarme, et les railleries de la droite républicaine -, parce qu’il ne partage pas cette certitude, elle aussi convenue, que Marine Le Pen ne peut en aucun cas triompher à l’élection présidentielle de 2017. Il n’est pas banal non plus qu’un Premier ministre confie sans détour ses angoisses : « Est-ce que vous pensez qu’un FN qui fait 25% aux Européennes, peut-être 30 (au premier tour) des départementales, ne peut pas gagner l’élection présidentielle pas en 2022, pas en 2027, mais en 2017 ? »… Il le dit, peut certes s’égarer ; mais aucun autre responsable d’envergure n’ose pareille lucidité – ou tant de pessimisme.

Crier au loup FN pour ressouder la gauche

Ses adversaires, tous camps confondus, vont d’ores et déjà accuser Manuel Valls de machiavélisme de petite envergure, de cloner la méthode Mitterrand – crier au loup FN pour tenter de ressouder la gauche autour de François Hollande et de lui même. Peut être… Sans doute même… Mais pourquoi ne pas évoquer aussi ses racines familiales et politiques, le combat de son père, républicain de Catalogne, ses engagements de jeune homme contre cette extrême droite qui lui fait horreur, la lutte acharnée qu’il s’est toujours imposé contre le racisme et l’antisémitisme ? Osons cette hypothèse peu banale parmi ceux qui observent la politique au quotidien : et si Manuel Valls ne trichait pas dans cet engagement forcené contre Marine Le Pen ? Peut-être la tactique dévoilée pour faire reculer le FN n’est-elle pas la meilleure, mais en quoi cela obèrerait-il son honnêteté intellectuelle ?

Soyons naïfs jusqu’au ridicule : et si Manuel Valls était sincère ? Un gros mot, de nos jours, en politique…


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