Cet actionnaire de Carrefour qui dézingue Plassat et encense Bompard

En business, comme en politique, c’est souvent une fois les têtes tombées que les langues se délient. Jugez plutôt. D’un côté, voici Hillary Clinton, dévoilant le 20 septembre, dans son ouvrage What Happened, les coulisses de sa défaite aux élections présidentielles, et déversant sa bile sur Donald Trump. De l’autre, voilà Abilio Diniz, actionnaire de Carrefour, qui, dans une interview donnée au journal économique brésilien Valor le 29 septembre, dresse un procès au vitriol de Georges Plassat, l’ancien PDG de Carrefour, parti en juillet pour céder la place à Alexandre Bompard. Ecrit en portugais, l’article est du coup passé sous les radars en France. Pourtant, il ne manque pas de sel: dans un entretien fleuve, l’administrateur qui, via son holding familial Peninsula, possède 12% de Carrefour au Brésil et 8% au total, ne se contente pas d’analyser la situation du distributeur dans son pays natal. Il y dézingue surtout sans ambages Georges Plassat. Cette diatribe est-elle le reflet d’un conflit personnel latent entre deux routiers de la distribution? Ou simplement la conséquence d’une rancœur face à un cours de Bourse au plus bas? Difficile à dire.

Abilio Diniz accuse en tout cas Georges Plassat de tous les maux de Carrefour. Pour lui, pas de doute: si le distributeur se trouve actuellement en difficultés – en retard dans la transition digitale, confronté au déclin des grands hypermarchés français, chahuté par la compétition en France et en Europe du Sud, et même forcé de faire un avertissement sur résultat fin août-, le fautif n’est autre que le PDG sortant. Nommé en 2012 pour redresser le navire qui partait à la dérive suite aux années Lars Olofsson, Georges Plassat a réussi à doubler le cours de l’action de 13 à 26 euros, parvenant même à atteindre un sommet de 32 euros. Ce bond a fait de lui « une star », « presque un mythe », selon Abilio Diniz, qui critique cependant: « Selon moi, il a utilisé une mauvaise méthode pour chercher le redressement. Il a vendu des actifs pour investir dans les prix. Il ne faut pas juste investir dans les prix. Il faut être beaucoup plus solide par ailleurs. » Surtout, le milliardaire brésilien déplore qu’après la phase nécessaire de restructuration, Georges Plassat n’ait pas su enclencher la deuxième étape: réformer le groupe, confronté à la concurrence des pure-players comme Amazon et Google. « Pour que [le groupe] change, il faut que la personne le veuille et Plassat ne le voulait pas », déplore l’homme qui fêtera bientôt ses 81 ans.

« Quelqu’un qui pouvait mener la transformation »

A la question du rôle de Noël Prioux, directeur France de Carrefour jusqu’à sa nomination à la tête du Brésil le 2 octobre, dans les mauvais résultats de Carrefour dans l’Hexagone, là encore, Abilio Diniz charge la barque de Georges Plassat. Les difficultés de Carrefour en France? « Il faut les attribuer à Plassat », rétorque Diniz, dénonçant l’incapacité du dirigeant à déléguer. « Rien n’est fait que Plassat ne souhaite pas voir fait », lance le Brésilien. « J’ai réalisé que Plassat bloquait Prioux, il n’avait pas de marge de manœuvre pour faire les choses qu’il devait faire. »

Est-ce parce qu’il incarne l’exact opposé de Georges Plassat, en termes d’âge, de parcours scolaire, et même de caractère? Alexandre Bompard, son successeur, semble en tout cas, lui, trouver grâce aux yeux d’Abilio Diniz. « Nous sommes allés chercher quelqu’un qui pouvait effectivement mener la transformation », se félicite l’octogénaire. « Bompard est en train de commencer la transformation dont l’entreprise a besoin. (…) Bompard est déterminé pour que nous ne restions pas dans notre zone de confort. » Et face au nouveau comité exécutif dévoilé par Bompard le 22 septembre, là encore Diniz applaudit: « Il croit en quelque chose auquel je crois aussi: les bonnes personnes au bon endroit font bouger les choses. » Georges Plassat appréciera le message caché. Quant au nouveau PDG de Carrefour, s’il peut se féliciter d’être dans les petits papiers de son actionnaire, il aura sans doute compris qu’il vaudrait mieux redresser le cours de Bourse du distributeur… faute de se voir accusé de tous les maux.

Challenges en temps réel : Entreprise