Chief covid officer, référent covid: ces métiers du monde d’après

Arpentant les bureaux et les ateliers pour vérifier la bonne application des protocoles sanitaires de leur entreprise, ils ont pour mission d’informer leurs collègues sur les bonnes pratiques, de répondre aux inquiétudes de certains, de veiller sur les stocks de masques, vitres plexiglass, gels hydroalcooliques, d’identifier et de prendre en charge les personnes symptomatiques et les cas contacts éventuels, de co-construire avec les partenaires sociaux, les RH et les managers de terrain la nouvelle organisation sanitaire à l’heure du déconfinement… Les « référents covid » n’existaient pas il y a quelques mois encore et sont devenus les nouvelles vigies incontournables des entreprises dans la nouvelle ère post-covid. Si certains étaient déjà familiarisés à la gestion des risques à travers leurs fonctions de préventeurs ou de responsables risques, beaucoup -en particulier dans les TPE-PME mais aussi dans les administrations- ont endossé cette casquette au pied levé, bien souvent sans véritable formation.

C’est le cas de Bruno*, manager de proximité au sein d’un ministère. Depuis le 11 mai –date du déconfinement– il a été désigné « référent masques » de son bureau (une trentaine de personnes). « Chaque semaine, je suis chargé de récupérer et distribuer les masques jetables à mon équipe, dans la limite de cinq masques par jour par personne, détaille-t-il. Au début, les collègues étaient inquiets et avaient tendance à beaucoup me solliciter voire à surconsommer des masques. J’essayais de les sensibiliser au fait de les utiliser raisonnablement. Ces dernières semaines, avec le recul de l’épidémie en métropole, tout le monde est beaucoup plus laxiste là-dessus, si bien que nous sommes un peu rappelés à l’ordre par nos supérieurs. » 

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Un rôle qui dépasse l’enjeu sanitaire

C’est justement pour éviter tout relâchement que le ministère du Travail a insisté dans la nouvelle version de son protocole national de déconfinement sur l’obligation de désigner un référent covid dans chaque entreprise, alors que cette nomination n’était, jusque-là que recommandée. « Un référent Covid-19 est désigné, est-il ainsi mentionné. Dans les entreprises de petite taille, il peut être le dirigeant. Il s’assure de la mise en œuvre des mesures définies et de l’information des salariés. Son identité et sa mission sont communiquées à l’ensemble du personnel. »

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Une nouvelle obligation qui est pertinente mais sous certaines conditions, selon Matthieu Pavageau, directeur technique et scientifique de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). « Pour être efficaces, les missions du référent covid ne doivent pas se limiter à des enjeux sanitaires, estime-t-il. Au-delà de la maîtrise du risque biologique, il doit aussi tenir compte des enjeux stratégiques de production et de l’adaptation des conditions de travail des équipes, sur les cadences, les règles de circulation ou encore l’utilisation de certains outils. »

Selon lui, à l’heure de la reprise, le référent covid va ainsi endosser un rôle de manager plus que de préventeur en faisant adhérer ses collègues aux nouvelles contraintes sanitaires, mais aussi en dialoguant avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise (managers, RH, élus du personnel, direction générale…) pour co-créer des règles en phase avec les réalités métiers du terrain, tout en veillant aussi au bon état de santé physique et psychique des troupes. « Ce qui peut être difficile à gérer si on n’est pas soi-même déjà manager opérationnel », souligne Matthieu Pavageau. Lui recommande ainsi aux entreprises de miser sur un collectif de référents covid pluridisciplinaires plus que de centraliser ces tâches entre les mains d’une même personne. Arnaud Gilberton, cofondateur d’Idoko, cabinet de conseil en ressources humaines, va plus loin: « Il faut que l’Etat mette en place des dispositifs d’accompagnement et de formation pour ces référents, en particulier dans les TPE-PME, généralement peu au fait de la culture de gestion des risques. »

Nouveaux managers de crise tout terrain

A la croisée entre opérationnel et stratégique, la crise du coronavirus a justement provoqué l’émergence d’un autre type de profil axé sur le management des risques: celui de « Chief covid officer » ou de « Chief coronavirus officer ». « Auparavant, les entreprises nous contactaient avec une vision claire de leur stratégie de transformation à quatre ans. La crise a provoqué un flou tel que tout le monde a basculé en gestion de crise avec une grande difficulté à se projeter dans l’avenir. Le Chief covid officer est justement là pour rationaliser la situation et sécuriser ces projections sur un plan aussi bien sanitaire, financier, opérationnel (relations clients/fournisseurs) que social sur une période de neuf à douze mois. Il se positionne comme une sorte de chef d’orchestre auprès de la direction générale et du conseil d’administration tout en animant une task force opérationnelle », résume Anthony Baron, cofondateur d’Adequancy.

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Ce cabinet vient de dévoiler une nouvelle mission-type de Chief covid officer au sein de son offre de management de transition. Une appellation purement marketing? « Il ne faut pas oublier que le coronavirus est une maladie qui a tué des milliers de gens. La reprendre dans un titre de direction pourrait être diversement apprécié par des salariés qui ont peut-être été exposés à ce drame. A choisir, je préférerais l’appellation ‘Chief health officer’ ou ‘Chief risk officer' », critique un expert RH.  « Le nom n’est qu’un accessoire qui nous rend il est vrai plus visible mais qui ne va pas forcément jouer en notre faveur, les entreprises ayant surtout tendance à se replier sur elles-mêmes en ce moment. Nous voulons leur montrer que derrière l’appellation il y a une méthodologie et du fond qui peut les aider », réplique le patron d’Adequancy. Il en veut pour preuve la sélection de CCO d’Adequancy: « Sur 200 candidats, nous avons sélectionné une quinzaine de profils ayant démontré une solide expertise de direction générale, de fusion-acquisition ou encore de restructuration, dont certains sont déjà en mission et ont vécu de plein fouet la crise sanitaire. » 

Parmi lesquels Pierre-Yves Morvan. A 53 ans, et après une trentaine d’années à des postes de responsabilité chez Safran notamment, ce « DG industries et services », reconverti depuis peu en Chief covid officer, était en mission chez Satys (spécialiste de la mobilité aéronautique et ferroviaire employant 3.000 salariés pour un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros) depuis environ un an lorsque la crise du coronavirus a éclaté. « Nous avons été très impactés sur le volet aéronautique, moins sur le ferroviaire. Je devais partir fin avril mais je reste encore un peu pour aider en cette période particulière », raconte celui qui a géré la fermeture temporaire d’un site de production de sa branche, puis sa réouverture tout en jonglant avec les demandes d’activité partielle, l’animation de la cellule de crise à distance… « J’ai pu tirer quelques bonnes pratiques de cette expérience comme le fait d’organiser des réunions virtuelles quotidiennes à heures fixes qui ont permis de donner des repères à chacun, de ressouder l’équipe de direction et d’écouter les signaux faibles du marché en repositionnant notre offre par exemple. C’est cette démarche stratégique globale sur comment recréer de la valeur dans un contexte qui réclame encore plus de réactivité et d’agilité qui m’intéresse aujourd’hui. »

« Faire intervenir quelqu’un de l’extérieur peut être facilitant en interne, sauf si le consultant plaque ses méthodes de changements de manière descendante sans approche systémique ou dialogue avec les acteurs de terrain. Dans ce cas, il est complètement inutile », estime Matthieu Pavageau de l’Anact. Reste aussi à convaincre les entreprises, aux finances exsangues et pour l’heure surtout focalisées sur la chasse aux économies, d’investir dans ce type de missions, coûtant a minima 1.500 euros HT par jour, selon le profil…

*Le prénom a été changé à la demande de l’interviewé.

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