Chômage : pourquoi il faut réduire l'indemnisation et la durée

Il y a deux sujets tabous en France quand on évoque le système d’indemnisation du chômage : la dégressivité et la durée de cette indemnisation. Alors que les négociations vont reprendre dans les prochains jours sur le financement de l’assurance-chômage, aucune des trois parties concernées – patronat, syndicat, gouvernement – ne se risque à émettre un avis sur cet aspect explosif. D’ailleurs Emmanuel Macron, pourtant expert en transgressions, n’avait pris le moindre engagement sur cette question pendant la campagne électorale. Seul, François Fillon l’avait mis au menu de la sienne, et en avait fait un signe de radicalité.

Mercredi 22 août, le député LREM Aurélien Taché, corapporteur de la loi Pénicaud sur la formation professionnelle, a bien esquissé une piste dans une interview au Parisien. Mais elle ne concernait que les cadres qui disposent d’une indemnisation de plus de 5 000 euros par mois, soit moins de 0,1 % des inscrits à l’Unédic.  » Pourquoi ne pas instaurer une dégressivité à partir de six mois ou forfaitiser le revenu « , avait suggéré le parlementaire, entraînant immédiatement une réaction outragée du syndicat des cadres CGC.

Il y a donc peu de chance que ce sujet clivant soit au menu des discussions que doivent avoir la semaine prochaine le Premier ministre et les organisations patronales et syndicales. Et pourtant, il y a trois types d’arguments qui militent en faveur d’une réflexion sur la dégressivité et la durée d’indemnisation : le premier est académique ; le second, de bon sens ; et la troisième repose sur une expérience historique.

Dans la chronique que Pierre Cahuc avait faite pour Challenges en décembre 2016, et que nous avons republiée hier sur challenges.fr, le meilleur économiste sur les questions d’emploi pointait certes que  » la dégressivité n’était pas le meilleur moyen de résorber le déficit de l’Unédic « . Mais les références aux travaux académiques s’intéressant à l’incidence des méthodes d’indemnisation sur la reprise de l’emploi allaient tous dans le même sens, soulignait l’économiste :  » En moyenne, quand on augmente la durée d’indemnisation d’un mois, la période de chômage grimpe de 0,2 mois. Et quand on augmente les indemnités de 10 %, la durée moyenne du chômage s’accroît de 10 %. «  Conclusion imparable a contrario : si on diminue la durée ou le montant de l’indemnisation, la période de chômage diminue.

Tout ceci fleure le bon sens : la durée et le montant d’indemnisation sont évidemment des outils puissants d’incitation au retour à l’emploi. Ce dont ne veulent entendre parler les syndicats. Et comme c’est tabou, le patronat ne l’évoque qu’avec des pincettes. Avant d’être élu président du Medef, même Geoffroy Roux de Bézieux n’évoquait cette évidence qu’à mots couverts. Il faut la liberté de ton de grands patrons, non soumis aux contraintes de l’échiquier social national, pour le dire sans ambages :  » Les ordonnances ont réglé largement le problème des incitations à l’embauche « , évoquait Pierre-André de Chalendar.  » En revanche, concernant les incitations au travail « , le PDG de Saint Gobain regrettait  » l’absence de toute mesure de réduction de la durée d’indemnisation du chômage, ou de dégressivité. «  Déclaration faites à l’occasion du dernier Sommet de l’Economie de Challenges, en décembre 2017. Lors d’une édition précédente, Serge Weinberg, le président de Sanofi s’était fait encore plus précis :  » Il faut revoir les modes d’indemnisation du chômage, même si c’est difficile en période de fort chômage. En France, l’indemnisation représente le double, en durée et en taux, du régime de l’assurance allemand ! «  Pour quel résultat ?  » Notre taux de chômage de longue durée est structurellement plus élevé que la moyenne européenne. « 

Il faut dire que l’exemple allemand a de quoi faire réfléchir. En 2005, notre voisin, encore  » le malade de l’Europe « , souffrait d’un taux de chômage record, supérieurs à 11 %. C’est cette année-là qu’est entrée en vigueur un des volets les plus importants des Lois Harz : la réduction de la durée d’indemnisation, passée de deux anx à un an (sauf pour les séniors). Et depuis cette date, le chômage n’a cessé de décliner en Allemagne, enfonçant le plancher de 4 % en 2018. Et quelle est la durée d’indemnisation du chômage en France ? Deux ans… Bien sûr, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, et bien d’autres facteurs expliquent le succès allemand, notamment l’extraordinaire capacité d’insertion de notre voisin. Mais il est quand même inquiétant, à l’aube des discussions à venir en France, que personne ne rappelle cet exemple édifiant !

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