Comment Bernard Gilly, fondateur d’iBionext, gère sa fabrique à start-up

A deux pas de la Bastille, passé l’imposant porche du 74, rue du Faubourg- Saint-Antoine, une grille en fer forgé ouvre sur le très beau Passage de l’innovation. Dans d’anciens ateliers de menuiserie, où se marient le verre, l’acier et le bois, 140 personnes développent de jeunes sociétés aux ambitions révolutionnaires. Gecko prépare une colle en remplacement des points de suture du chirurgien ; Pixium développe la rétine artificielle la plus avancée du monde ; BrainEver va tester chez le singe un traitement contre la maladie de Parkinson…

Au premier étage, Bernard Gilly occupe un bureau spartiate, au milieu du lumineux open space. Le bouillonnant président d’iBionext est le trait d’union entre toutes ces bio-techs. Manager devenu investisseur puis entrepreneur, l’ex-directeur général de Transgene (filiale de Bio- Mérieux), passé ensuite par le fonds d’investissement Sofinnova, a développé la biotech Fovea, cédée en 2009 à Sanofi. En 2013, il a créé une structure unique en France : une fabrique à start-up adossée à un fonds d’investissement. Aujourd’hui iBionext fédère huit entreprises, dont deux, Pixium et GenSight, sont cotées en Bourse. Quant au fonds, doté de 120 millions d’euros, il répond au manque de capitaux pour financer la croissance des start-up, faiblesse qui les conduit trop souvent à se vendre aux Etats-Unis.

Fonceur, passionné de voile, Gilly porte son « uniforme » habituel : dockers, chemise blanche, boots noires. Ce qui l’anime ? « Changer la vie des patients. » « Un des moments les plus émouvants de ma vie est celui où j’ai entendu un patient soigné par GenSight dire : “je peux revoir quatorze lettres avec mon œil traité”. » Pour cela, l’entrepreneur ne connaît qu’une voie : l’innovation de rupture. « Je défends une vision schumpétérienne : l’innovation doit remplacer ce qui existait avant », dit-il. Il ne s’attaque qu’aux faces nord : les besoins thérapeutiques non couverts.

Sa méthode : donner un cap

Pour relever ces défis, Bernard Gilly – ingénieur agronome de formation et docteur en économie – table sur la « bonne science » : une compréhension intime des mécanismes biologiques, étayée par des études solides. Cette approche lui a assuré l’appui de chercheurs de très haut niveau : les stars du MIT, Bob Langer et Jeff Karp, cofondateurs de Gecko, le président de l’Institut de la vision José-Alain Sahel, son ex-complice dans l’aventure Fovea, le pape de la neurobiologie Alain Prochiantz, dirigeant du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie au Collège de France et cofondateur de BrainEver. « Il respecte la science et fait confiance aux scientifiques », apprécie ce dernier.

En misant sur l’innovation de rupture, l’amateur de sensations fortes – motard et marin – prend par nature des risques énormes. Petit dormeur, cet « anxieux créatif », comme il se définit lui-même, profite des premières heures du jour, « un moment de calme et d’hyperperception », pour cogiter. Passé par des échecs, comme des dossiers qui ont fait flop à Sofinnova, il a mis au point à iBionext une méthode personnelle de « dérisquage » : pas de création d’entreprise ni de financements sans une maturation scientifique et une validation poussée du concept. « A l’inverse des amorceurs, nous n’investissons pas un sou avant de savoir ce que nous voulons faire et comment y parvenir », souligne-t-il. Une démarche qui permet d’écarter certains projets. Et de raccourcir le cycle de l’innovation : créé en 2014, Gecko devrait avoir l’approbation de son premier produit dès 2017.

Omniprésent, l’impétueux fondateur du Gilly Empire State Building – surnom donné en interne à iBionext ? Il s’en défend. La gestion du fonds est assurée par une professionnelle de l’investissement, Alicia Pérouse, ancienne de Sofinnova et d’Omnes Capital. Ensuite, il a confié les manettes de ses deux premiers « bébés », Pixium et Gecko, à des managers aguerris. « Je ne suis pas un homme de processus », confesse-t-il. Il préfère se consacrer à ce qu’il sait faire : « Passer du résultat scientifique à un produit et aux premiers essais cliniques. » Enfin, une équipe d’experts – du spécialiste des lots cliniques au cador en propriété intellectuelle – accompagne les jeunes pousses. « Il a trouvé le bon modèle », estime Rafaèle Tordjman, associée à Sofinnova. Hostile au micromanagement, Gilly pratique la méthode de son premier patron, Alain Mérieux : donner un cap. Il fait confiance à des collaborateurs, dont il respecte l’expertise. Une expertise qui, pour ce gourmet, doit se nourrir du plaisir de travailler. « Dans les entretiens d’embauche, je pose toujours la question : “qu’est-ce qui vous amuse ?”. »

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