Comment Biocoop résiste à l'assaut des grands distributeurs

A quelques encablures de la place de la République, à Paris, un magnifique magasin biologique vient d’ouvrir ses portes: larges vitrines, boiseries claires, grand rayon vrac… Bienvenue au Biocoop de la rue de Lancry, le 500e de l’enseigne. Il est loin le temps où, en 1986, un petit groupe de consommateurs adeptes du bio se rassemblaient pour faire leurs emplettes en commun. Trois décennies plus tard, l’enseigne est un puissant réseau présent sur tout le territoire. Son chiffre d’affaires, de 1,1 milliard d’euros, le situe au deuxième rang de la distribution bio en France, derrière Carrefour.

Ce succès tient à son modèle unique, militant et engagé, prenant la forme d’une coopérative où les salariés, les magasins, les associations de consommateurs et les producteurs ont tous voix au chapitre. Les inconvénients? Un processus de décision plus lent, et des moyens financiers réduits puisque le siège se rémunère uniquement à l’aide de l’abonnement payé par les magasins (1,2% du chiffre d’affaires) et de la petite marge sur les produits qu’elle leur vend. Mais les avantages sont multiples.

Biocoop bénéficie ainsi d’un réseau de 2 700 producteurs fidèles. Ces derniers y gagnent des débouchés garantis et une relation plus équitable qu’avec la grande distribution. « Avec Biocoop, le producteur n’est pas la variable d’ajustement », se réjouit ainsi Mathieu Lancry, président de la coopérative de fruits et légumes Norabio, qui réalise deux tiers de son chiffre d’affaires avec Biocoop. L’enseigne, quant à elle, peut sécuriser son approvisionnement, un avantage comparatif à l’heure où les surfaces agricoles de l’Hexagone ne satisfont plus la demande croissante des Français pour le bio.

Du local et de l’équitable

Résultat: l’offre 100 % bio de Biocoop est à 80% d’origine française. De quoi éviter de vendre des tomates certes bio, mais importées des Pays-Bas, en plein mois de janvier. Un non-sens écologique fréquent chez les rivaux. « Notre différence, c’est la cohérence », martèle Orion Porta, le directeur général, qui rappelle que Biocoop proscrit les OGM, le transport en avion, l’eau en bouteille en plastique et, à l’inverse, propose 11% de produits locaux en moyenne, 21,4% issus du commerce équitable, 10% en vrac. « Biocoop, on aime ou pas, mais le concept est clair, l’identité forte, salue Sébastien Murbach, associé chez Roland Berger. C’est l’anti-bio industriel. »

Autre spécificité du modèle coopératif, qui participe de la cohérence de l’enseigne: sa politique sociale vertueuse, assurant une rémunération supérieure au smic, limitant l’écart salarial entre dirigeants et collaborateurs et plafonnant le niveau de marge. « Cela évite que l’on vienne chez nous pour le profit », pointe Orion Porta. Chaque année, l’enseigne sélectionne une soixantaine de futurs directeurs de magasin, sur 1.500 à 2.000 candidatures. Ce n’est qu’après un examen du dossier, puis un entretien portant sur le profil, les valeurs, le sens du collectif, et enfin une formation de dix-huit mois assortie de stages que les happy few obtiennent leur point de vente.

Résultat: les clients plébiscitent les magasins Biocoop autant pour leur offre que pour leurs gérants serviables, militants, qui connaissent les subtilités des baies de goji, du radis noir ou de la sève de bouleau. « Pour moi, l’important, c’est le bio combiné à une politique salariale et à une politique de marge la moins injuste possible pour les producteurs, explique Elsa Favier, 30 ans, cliente du Biocoop La Ruche d’Alésia, à Paris (XIVe). Donc je n’achète pas de bio dans la grande distribution et j’évite Naturalia, qui appartient au groupe Casino. » A l’image d’Elsa Favier, les adeptes de Biocoop sont de plus en jeunes. Malgré son faible budget marketing, l’enseigne a réussi à attirer Monsieur et Madame Tout-le-monde, tout en conservant les militants soixante huitards de la première heure. Elle a bénéficié de l’explosion de la consommation alimentaire bio en France, passée de 2,1 milliards d’euros en 2007 à plus de 8 milliards dix ans plus tard, selon l’Agence Bio.

Croissance ralentie

Mais ce dynamisme suscite les convoitises. La grande distribution a rapidement multiplié les initiatives dans le bio, en inondant les rayons de produits, en ouvrant des magasins et en lançant de nouvelles enseignes. Conséquence? Après deux années exceptionnelles, en 2017, Biocoop a vu sa croissance s’essouffler à 13,5%, contre 24,7% en 2016. Son objectif de 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires n’a pas été atteint.

« Nous n’avons pas assez anticipé le développement des gammes dans les grandes surfaces, reconnaît Orion Porta. Nous n’avions pas imaginé qu’elles accéléreraient autant. » Le jeune quadra à l’accent chantant et à la barbe de hipster, ex-directeur d’un réseau de Biocoop du Sud-Ouest, a été nommé en septembre dernier pour projeter la coopérative dans une nouvelle ère plus offensive. Fin mars, il a annoncé la naissance d’une cellule innovation et le lancement de plusieurs projets : des formats plus petits, des corners au sein de fermes, des magasins mono-métier tels que boucheries et boulangeries, et bientôt, une initiative dans l’e-commerce.

En parallèle, cette année, l’enseigne investit 80 millions d’euros pour rénover et agrandir ses quatre plateformes logistiques, et poursuit son expansion effrénée, avec 70 nouveaux points de vente prévus.  » Aujourd’hui, le bio ne représente que 4 % de la consommation, rappelle Orion Porta. Nous pensons que cela va aller beaucoup plus loin. Nous sommes sereins sur l’avenir.  » Gageons qu’il a raison d’avoir confiance.

Des Nouveaux Robinson plus ouverts

C’est une enseigne coopérative aussi historique que Biocoop, mais peu connue: Les Nouveaux Robinson, créés en 1993. « Nous sommes sortis de Biocoop en 2003 quand c’est devenu une société anonyme coopérative, raconte Christelle Pohardy, présidente des Nouveaux Robinson. Alors que nous étions le plus gros adhérent, il fallait un minimum d’achats auprès de Biocoop pour pouvoir intégrer le conseil d’administration. Or, nous fonctionnons en direct avec de nombreux producteurs. » Les Nouveaux Robinson ont créé une coopérative ouverte à tous, y compris aux clients, qui compte 2.200 sociétaires. Avec 19 points de vente franciliens, son chiffre d’affaires atteint 46 millions d’euros. L’enseigne doit s’adapter aux mutations du marché et améliorer l’accueil en magasin ou la sélection des produits.

SOURCE : AGENCE BIO.

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