Comment Evaneos court-circuite les voyagistes

Côté rue, c’est un immeuble bourgeois du IXe arrondissement de Paris, coincé entre un théâtre et une agence de voyages. Mais, une fois passée la porte cochère, on est d’emblée au cœur d’une entreprise jeune et décontractée avec l’entrée encombrée de vélos, la grande cafétéria donnant sur une cour ombragée, les canapés bariolés et des panneaux lumineux annonçant « La voyagerie » et « Free Your Curiosity » (Libère ta curiosité) en lettres multicolores. Il y a aussi le baby-foot de rigueur et, dans les étages, de vastes bureaux en open space où plus de 200 salariés d’une vingtaine de nationalités, les « Evaneossiens », arborant souvent le sweat à capuche gris floqué du nom de l’entreprise, paraissent tous avoir moins de 25 ans.

Créée en 2009 par Eric La Bonnardière, le commercial du duo, et Yvan Wibaux, le geek, la start-up Evaneos a déjà été contrainte de déménager huit fois en dix ans pour trouver des locaux plus spacieux. « Dans l’espoir de rester ici quelque temps, nous avons loué cet immeuble de cinq niveaux, dont deux que nous sous-louons à de jeunes entreprises », explique Eric La Bonnardière. Etape importante, les deux compères viennent de boucler la plus grosse levée de fonds dans le secteur du tourisme cette année en Europe, soit près de 70 millions d’euros apportés par les fonds Partech, Quadrille Capital et Level Equity, venus rejoindre leurs investisseurs historiques XAnge, Serena Capital et Bpifrance. Cet apport de capitaux va servir à conquérir le marché américain. Un pari gonflé car rares sont les groupes de tourisme français à avoir percé outre-Atlantique. Mais les premiers pas sont prometteurs: « Nous nous sommes lancés il y a quelques mois et avons déjà réalisé plus de 5 millions d’euros de ventes avec des clients américains. »

Tiers de confiance

Le secret d’Evaneos, c’est son offre très différente des agences de tourisme classiques. Certains parlent de « disruption », d’autres de « désintermédiation ». Au lieu de vendre des séjours conçus et proposés par des voyagistes européens vers des destinations exotiques, la start-up a créé une plateforme mettant directement en relation les touristes avec des agences locales dans les pays d’accueil. Elle agit comme un tiers de confiance et se rémunère en prenant une commission sur chaque transaction. Ainsi, en supprimant des intermédiaires, l’entreprise propose des prix moins élevés pour des prestations équivalentes, voire meilleures, et toujours très personnalisées, le dialogue direct avec un professionnel local permettant au client final de composer un séjour sur mesure. « Evaneos est un exemple spectaculaire et très encourageant d’acteur français qui crée une dynamique sur le marché grâce à son avancée technologique », apprécie Benoît Crespin, le directeur général France du géant eDreams-Odigeo (Go Voyage, Opodo, Liligo).

Toute la difficulté consiste alors à repérer et à recruter les meilleurs experts de l’accueil pour chaque destination, du Vietnam à l’Egypte en passant par la Finlande, la Grèce et le Kenya, avant même de les convertir au logiciel Evaneos qui leur permettra d’accéder à de nouveaux clients et d’établir des devis, séjours et facturations. « Je passe mon temps sur le terrain avec nos partenaires locaux, que nous considérons comme nos premiers clients », explique Eric La Bonnardière, qui, avant même de lancer l’entreprise avec son associé, avait passé deux ans à sillonner la planète pour constituer un réseau solide de « correspondants » lui permettant de peaufiner une offre adaptée à une clientèle exigeante. Avant de s’inviter sur le marché américain, il l’a déclinée dans dix pays et six langues. Après la France, ses plus gros marchés sont l’Allemagne et l’Italie.

Seul hic, avant d’attaquer le marché américain, il leur a fallu résoudre un problème technique. « Nous avons dû revoir la totalité de nos plateformes et migrer notre site français sur une adresse Evaneos.fr afin de réserver le «.com» aux clients des Etats-Unis », détaille le fondateur, qui vient d’être désigné par l’Institut Choiseul comme l’un des « leaders économiques de demain » dans son classement annuel. Les deux dirigeants sont fiers de leur réussite, mais répugnent à divulguer leur chiffre d’affaires, ou à évoquer la rentabilité, qui n’est pas encore optimale compte tenu des coûts importants du logiciel et du recrutement d’agences partenaires. Seules données publiques, l’entreprise a, depuis sa création, accompagné plus de 300 000 voyageurs, et ses ventes augmentent annuellement de 50 % au minimum.

Chaque année, Evaneos invite ses salariés en week-end prolongé. Prochaine destination, le Maroc (en mai), où les Evaneossiens effectueront un périple en petites équipes avant de tous se retrouver. Une manière de vérifier auprès de jeunes voyageurs la pertinence d’une stratégie privilégiant découvertes et circuits courts, le direct producteur-consommateur.

300.000 voyageurs depuis la création.

50% de croissance annuelle.

200 salariés de 22 nationalités (dont 60 % de femmes).

1.300 agences locales.

10.000 emplois indirects.

Le très joli mois de mai du tourisme

C’est devenu une institution presque sacrée en France. Les ponts de mai, qui arrivent avec les beaux jours, sont considérés par bon nombre de Français, passés experts dans l’art de « poser » le jour de congé ou de RTT intercalé entre le week-end et le jour férié, comme un acquis social. Les professionnels du tourisme se frottent les mains car cette tradition est excellente pour leurs affaires. « Cette année les 1er et 8 mai tombent un mercredi, ce qui permet d’envisager des séjours de trois-quatre nuits en Europe, indique Brigitte Hidalgo, de Weekendesk. Après les régions Paca, Bretagne et Normandie, la Catalogne est très demandée. » Ce voyagiste spécialisé en courts séjours enregistre des réservations en hausse de 30 % avec un panier moyen de plus 7 %, à 265 euros.

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