Comment l’Afrique est devenue un nouvel Eldorado

« A moyen terme, ignorer l’Afrique est à vos risques et périls ». Le conseil vient du milliardaire sud-africain Christo Wiese. LE PDG emblématique de l’enseigne de grande distribution ShopRite, présent dans 15 pays du continent, n’est ni afro-optimiste ni afro-pessimiste. Plutôt afro-réaliste. « Il y a des pays qui continuent à bien se porter », jugeait-il récemment encore, alors que la chute des cours du pétrole et des métaux précieux et la baisse de la demande chinoise secouent les Etats africains les plus dépendants. 

Même son de cloche chez les observateurs extérieurs. « L’impact des matières premières est important, mais les moteurs de croissance de l’Afrique sont dorénavant internes au continent », estime Razia Khan, chef économiste Afrique à Standard Chartered. L’hégémonie des matières premières et des secteurs exportateurs est révolue. L’an dernier, la moitié des dix pays aux plus fortes croissances dans le monde étaient africains. Et l’Afrique francophone subsaharienne tire son épingle du jeu, puisque cet ensemble de 22 pays a enregistré en 2015 les meilleures performances économiques du continent (4,6 % de croissance en moyenne), selon la Banque mondiale. Après un ralentissement, le Fonds monétaire international (FMI) mise sur une reprise cette année en Afrique subsaharienne, avec une hausse de 4 % du PIB, puis de 4,7 % l’an prochain. Et plus de 7 % pour la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, ou encore le Mozambique !

« Les économies africaines se sont engagées sur la voie de la diversification. La fin du supercycle des matières premières donne au continent l’occasion d’accélérer ses réformes structurelles », fait remarquer Bertrand Badré, le directeur général de la Banque mondiale. Un signe : la majorité des investissements étrangers – en hausse continue – est désormais consacrée à des projets dans le secteur des services. Comme au Kenya (lire page 50), leader mondial du paiement sur mobile. L’Afrique a l’avantage du dernier arrivé. Elle peut sauter une étape de développement. Par exemple, en profitant du boom du téléphone portable, ce qui lui évite de tirer des lignes de téléphonie fixe. L’électrification du reste du continent pourrait aussi être décentralisée grâce à de petites centrales éoliennes et solaires autonomes. Le Rwanda pourrait prendre une longueur d’avance avec son projet de « drone-port ». Son concepteur veut créer une flotte d’engins capables d’emporter chacun 10 kilos de cargaison sur 50 kilomètres.

Délocalisations chinoises

« L’Ethiopie me rappelle le sud de la Chine il y a vingt-cinq ans, raconte Martyn Davies, spécialiste des marchés émergents de Deloitte à Johannesburg. La main-d’œuvre bon marché arrive des campagnes et, sous l’impulsion des autorités, l’industrie manufacturière, comme le textile, se développe à toute allure. » Des sociétés chinoises y ont même délocalisé une partie de leurs productions. L’exemple de l’Ethiopie, nouvel atelier du monde, est salué, mais trop rare. Renforcer leur compétitivité, produire des biens à plus forte valeur ajoutée, développer un marché continental aujourd’hui trop morcelé, les défis sont nombreux pour les économies africaines.

Outre la pauvreté extrême qui frappe la moitié des Africains, et alimente le risque islamiste, c’est la hausse des inégalités, accrue par la corruption, qui menace la stabilité des pays africains. Le continent affiche la plus forte croissance d’individus fortunés. Mais 30 % de la richesse n’est possédée que par 0,2 % des habitants. Et pour absorber tous les jeunes actifs, en majorité peu qualifiés, il faudrait créer 29 millions d’emplois par an d’ici à 2030. L’enjeu est de taille. Mais à Paris, Londres ou New York, des cadres formés en Occident n’hésitent plus à délaisser des postes confortables pour saisir les opportunités au pays. Ces « expats » deviennent des « repats ». Et les groupes français sont plus nombreux à suivre le même chemin.

Aux vieux routiers de l’Afrique s’ajoutent désormais d’autres acteurs qui doivent affronter une solide concurrence locale et internationale. Un millier de dirigeants et d’experts se sont retrouvés au Davos africain en juin dernier au Cap. Un record. Avec l’essor de la classe moyenne et l’urbanisation, les secteurs liés à la consommation suscitent les convoitises. Trois ans après l’arrivée en fanfare du géant américain Walmart en Afrique du Sud, Carrefour a planté son drapeau en 2013. Associée au spécialiste de la distribution automobile CFAO, l’enseigne française a créé une coentreprise pour lancer des hypermarchés, des supermarchés et des supérettes dans huit pays africains.

La Société générale investit

Banques et assurances montent aussi en puissance. La Société générale – présente dans dix-huit pays du continent – a alloué 4 milliards d’euros de plus à l’Afrique pour développer de nombreux projets : ouverture de 50 à 70 agences par an, implantation d’une salle de marché à Abidjan, offre panafricaine sur mobile… Après s’être installé en Algérie fin 2011, Axa a multiplié les emplettes : achat de la compagnie nigériane Mansard Insurance, prise de participation dans Africa Re, le principal réassureur africain, acquisition du numéro trois égyptien. Même les médias se réveillent. Vivendi a annoncé la construction de dix salles de cinéma en plein air sous le nom de Canal Olympia.

« Pour les groupes internationaux, le continent africain n’est plus un sujet périphérique mais stratégique », résume Abdelnor Chehlaoui, fondateur de la boutique M&A dédiée à l’Afrique, AM Capital. En témoigne la nomination par Danone d’un patron Afrique, Pierre-André Térisse. Ou l’influence grandissante au sein d’Orange de Marc Rennard, le Monsieur Afrique du groupe, entré au comex en 2010.

Du côté des investisseurs professionnels, les lignes bougent aussi, même si les fonds d’investissement se comptent encore sur les doigts d’une main : Wendel, Amethis (Luc Rigouzzo) ou I&P (Jean-Michel Severino). La majorité des grands cabinets d’audit et d’avocats s’est dotée d’une filiale ou d’un partenaire local. Et la création, fin 2014, d’un Club Afrique au sein du lobby du capital-risque, l’Afic, a suscité un fort engouement. « En moins d’un an, nous avons réuni 200 adhérents », se réjouit son fondateur, Hervé Schricke.

54 pays, autant d’approches

On voit aussi éclore des fonds dédiés aux sociétés cotées africaines. Fin 2014, La Financière de l’Echiquier a soutenu la création d’Obafrica. « Par rapport aux Anglo- Saxons, les investisseurs français ont gardé beaucoup d’a priori sur l’Afrique », estime son fondateur, Ouissem Barbouchi. D’ailleurs, pour Martyn Davies, « le centre de gravité économique se déplace de l’Afrique de l’Ouest vers l’Afrique de l’Est ».

Certes, les règles du jeu sont particulières. « Chaque pays a ses particularités, chaque société doit être analysée de façon indépendante », prévient le gérant d’Obafrica. Habitué à voyager sur le continent, un entrepreneur français installé à Johannesburg acquiesce. « L’Afrique, c’est 54 pays, et autant d’approches différentes, insiste-t-il. La seule règle que je m’impose, c’est de laisser l’arrogance tricolore au vestiaire, car les Africains ont désormais le choix de faire affaire avec le monde entier. »

Avec Sébastien Hervieu

SOURCE : FMISIGNAUX AU VERT DANS L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Taux de croissance en 2015 (estimations en %).

SOURCE : AFDBL’Afrique affiche la plus forte croissance du nombre d’individus fortunés. Mais 30 % de la richesse n’est possédée que par 0,2 % des habitants.

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