Comment Nexans (ex-Alcatel Câbles) se restructure pour survivre

Le vendredi est un jour particulier pour Christopher Guérin. Inutile d’essayer de prendre rendez-vous avec le directeur général de Nexans, son agenda est complet. Le cinquième jour de la semaine est consacré à la transformation du groupe (6,4 milliards de chiffre d’affaires, 27 000 salariés), avec à chaque fois un menu millimétré : l’Asie le matin, les Amériques l’après-midi. Toute la journée, le patron du fabricant de câbles échange en conférence téléphonique avec l’équipe de choc qu’il a constituée, 60 hauts potentiels âgés de 25 à 35 ans. « Pendant six mois, ils sont en continu sur le terrain au sein des entités déficitaires, explique le patron. L’idée est de repenser le modèle économique et d’apporter un autre angle de vue. » Entreprendre les choses différemment, un impératif pour Nexans, dont l’action a plongé de 50 % l’an dernier. Présent dans 34 pays, l’ex-Alcatel câbles ne vaut plus que 1,2 milliard d’euros en Bourse (3,3 milliards à son sommet en 2007). En début d’année, Christopher Guérin a présenté un plan de transformation comprenant 600 suppressions de postes en Allemagne, en France et en Suisse, ainsi que la fermeture de l’usine de Hanovre, spécialisée dans la haute tension terrestre. Pour le directeur général, le redressement passe par une plus grande sélectivité des projets et une meilleure performance industrielle, via des produits redesignés et un travail sur les coûts. Objectif, dégager 500 millions d’euros d’Ebitda en 2021 et plus de 200 millions de cash flow positif.

Occasions manquées

« Le plan, centré sur la valeur, fait sens, mais il aurait été plus pertinent si ses dirigeants s’étaient séparés des business non profitables », estime Max Yates, analyste à Credit suisse. Le marché est moins sévère. Depuis le début de l’année, le titre a progressé de plus de 30 %. Le fonds américain Amber Capital, parti en 2012, est redevenu actionnaire. Les salariés se sont renforcés, avec 4,7 % des titres (2 % en 2015). « On ne peut plus se reposer uniquement sur le triptyque croissance, réduction des coûts et innovation, dit Christopher Guérin. En dix ans, on a loupé six fois nos objectifs d’Ebitda. » Dont celui de 2018 (325 millions d’euros au lieu de 400), année où l’entreprise a émis deux profit warnings.

Erreurs de management, problèmes de gouvernance, mésentente entre actionnaires, occasions manquées… L’histoire de Nexans est jalonnée d’une longue série d’échecs. En 2010, le groupe tente de racheter le néerlandais Draka Holding, mais se fait souffler l’affaire par son éternel concurrent, Prysmian, ex-Pirelli Cavi, qui fait alors la même taille. Sept ans plus tard, bis repetita. Nexans, qui a accumulé près de 700 millions d’euros de pertes entre 2013 et 2015, veut racheter l’américain General Cable, mais se fait encore devancer par Prysmian.

Après avoir usé deux patrons au cours des cinq dernières années, Nexans décide en juillet 2018 de tout remettre à plat avec Christopher Guérin. Agé de 47 ans, diplômé de l’Insead, cet homme très analytique est un historique de la maison. Il y est entré en 1997 et a occupé pas moins de douze fonctions différentes. C’est son dernier poste à la tête de l’Europe qui a convaincu le conseil de Nexans de le nommer. Empruntant les méthodes de scoring du secteur bancaire, Guérin a réalloué les ressources vers les clients à fort potentiel, réduit de 30 % les références produits des usines et accordé plus d’autonomie aux équipes. Ce qui a eu pour résultat de quadrupler les profits de la division Europe entre 2014 et 2017.

Un marché de 120 milliards

Le nouveau patron reproduit cette recette à l’échelle du groupe. Numéro deux mondial du câble avec 8 % de part de marché, Nexans ne se fixe pas d’objectifs de croissance. L’entreprise, qui compte 98 usines, veut gagner en compétitivité face aux défis qui s’annoncent. Dopé par les secteurs de l’énergie, du transport et des données, le marché du câble est très porteur. Christopher Guérin, qui a renouvelé son comité exécutif, veut monter dans la chaîne de valeur pour occuper le marché du « service des câbles », estimé à 120 milliards de dollars à l’horizon 2030. « De fournisseur de composants, nous devenons fournisseur de systèmes, modules et solutions. » Le patron fonde aussi de grands espoirs sur les télécoms et la haute tension sous-marine, qui progressent de 6 % par an.

Son second défi est opérationnel. Aujourd’hui, la moitié du chiffre d’affaires leste la rentabilité du groupe. Les entités déficitaires (Brésil, Suisse, Grande-Bretagne et secteur de la haute tension terrestre), Christopher Guérin entend les redresser via un programme baptisé Shift. Sa méthode : utiliser la « théorie de l’iceberg ». « Dans leur prise de décision, nos managers n’utilisent que 4 % des données visibles. Nous voulons arriver à plus de 25 %. Il y a une multitude de pépites qui sont sous-exploitées. Les managers doivent réapprendre à résoudre des équations complexes. » Le directeur général se donne deux ans pour éradiquer les foyers de pertes. Compliqué. Pendant que Nexans soigne ses plaies, les concurrents avancent. Et pas seulement Prysmian. Les chinois ZTT et Hengtong pesaient 400 millions d’euros il y a dix ans, et dix fois plus aujourd’hui. L’ex-Alcatel Câbles a peu de temps devant lui. « En 2021, on décidera si on doit ou non désinvestir », indique Christopher Guérin.

 

Alcatel Submarine Networks, un fleuron en apnée

Que va devenir Alcatel Submarine Networks (ASN) ? Propriété de Nokia, l’entité était entrée fin 2018 en négociations avec l’équipementier télécoms français Ekinops, avec Bpifrance et le fonds Aleph Capital. La somme de 800 millions d’euros était évoquée. Mais, début avril, Ekinops a jeté l’éponge. Tout repart à zéro pour cette entreprise de plus de 160 ans, dans le giron de Nokia depuis le rachat d’Alcatel-Lucent en 2015. Numéro un mondial des câbles sous-marins, ASN (1 250 salariés) est un joyau. Dans son usine de Calais, l’entreprise dispose d’une capacité de production annuelle de 42 000 kilomètres de câbles. Dopé par Internet, le marché des liaisons sous-marines explose. Le japonais NEC et l’américain Johnson Controls sont prêts à mettre des milliards. Pas Nokia. « Depuis qu’ils nous ont repris, ils n’ont pas investi un centime », déplore Bryan Fackeure, délégué CFDT à Calais. Le syndicaliste appelait de ses voeux l’option d’un pacte d’actionnaires avec Thales, côté électronicien, et Nexans, côté câbles. Mais elle n’a pas été retenue par le gouvernement.

Challenges en temps réel : Entreprise