Corruption: pas de justice négociée pour les entreprises

C’est une mauvaise nouvelle pour le Medef. Durant des mois, le patronat français a œuvré pour obtenir que soit inscrit dans le projet de loi de Michel Sapin sur la corruption le principe de la « transaction pénale ».

De fait, en janvier la dernière version du texte comprenait cette disposition, qui constituait une forme de révolution dans les habitudes judiciaires françaises. Mais, et c’est le ministre des Finances qui l’annonce dans le JDD, cette innovation à l’américaine ne figurera pas dans la version finale du texte parce que « le Conseil d’Etat a relevé les nombreuses questions posées par cette innovation tout en soulignant sa réelle efficacité dans la lutte contre la corruption transnationale ». Ou parce que la levée de boucliers d’un groupe d’associations qui militent contre la corruption annonçait un débat houleux, dans une période où l’équipe Hollande-Valls a toutes les raisons de se passer d’une polémique supplémentaire…

Un accord négocié plutôt qu’un procès

Le mécanisme de transaction pénale – ou « convention de compensation d’intérêt public » selon l’affreux jargon employé initialement dans le texte – offrait la possibilité aux entreprises poursuivies pour corruption de s’épargner le caractère infâmant d’un procès et la condamnation de la société en tant que personne morale. « Le procureur pouvait ainsi passer un accord négocié avec l’entreprise moyennant le paiement d’une amende « dont le montant est calculé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés », était-il écrit dans l’article désormais supprimé de la loi. Le montant ne pouvait excéder 30% du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années. Et la société sanctionnée devait ensuite se soumettre à un monitoring scrupuleux, conduit par la future Agence de prévention et de détection de la corruption.

Cette procédure était inspirée par le « Deferred prosecution agreement » américain : une forme de justice négociée, plus rapide, assez mécanique dans le calcul des pénalités infligées, qui est appliquée aux Etats-Unis à la délinquance économique de façon générale, et aux pratiques de corruption à l’étranger (sous l’empire du Foreign Corrupt Practices Act).

Des détracteurs

Cette procédure négociée et accélérée – qui commence juste à être mise en œuvre en Grande-Bretagne depuis décembre dernier  – avait ses défenseurs. Et notamment l’ONG Transparency International, rappelant combien les entreprises françaises ont eu à payer ces dernières années aux Etats-Unis: 1,2 milliards de dollars pour Total, Technip et Alstom.

Mais aussi ses détracteurs. Dès le mois de février l’association Anticor dégainait en dénonçant ces « cadeaux pour les corrupteurs sous le Sapin II ». Et d’estimer que loin d’accélérer la répression, le projet de loi organisait « ainsi l’impunité de la grande corruption internationale : moyennant finances, les grandes entreprises corruptrices échapperont à toute sanction. Elle permettra aussi l’impunité des dirigeants ». Puis jeudi dernier, c’est un bataillon d’organisations qui est entré en guerre contre la transaction pénale à la française. Tout en saluant et soutenant le travail de Michel Sapin sur la corruption, ces 14 associations (dont Sherpa, Anticor, Oxfam France, le CCFD, le Syndicat de la Magistrature) ont réclamé sa suppression. « Il s’agit d’un pas vers une déresponsabilisation des personnes morales pour des faits de corruption et une impunité de fait », écrivent-elle dans la note d’analyse du projet de loi publiée jeudi 24 mars.

Fort heureusement, le Conseil d’Etat, dans sa sagesse opportune, a permis d’éviter que la dispute ne se poursuive entre Ministre des finances et associations anti-corruption…