Coup de tonnerre pour les industries de la santé : une nouvelle jurisprudence annonciatrice de contentieux ?

vaccinLa CJUE vient de rendre une décision, le 21 juin 2017*, très attendue sur la preuve du lien de causalité entre la défectuosité d’un produit de santé (en l’espèce un vaccin) et la survenance d’une maladie. Cette décision, qui commence à être très commentée, soulève d’ores et déjà la polémique.

L’affaire à l’origine de la décision est connue et a donné lieu à un abondant contentieux. Une personne vaccinée en 1998 et 1999 contre l’hépatite B développe quelques temps après une sclérose en plaques. Décédée en 2011, sa famille introduit un recours en indemnité à l’encontre du laboratoire producteur du vaccin. Après un long cheminement judiciaire, la Cour de cassation a interrogé la CJUE sur l’interprétation de la directive européenne sur la responsabilité du fait des produits défectueux, et plus spécialement dans son article 4 qui prévoit que la victime est obligée de prouver le lien de causalité entre le dommage et le défaut**.

La CJUE reconnaît la possibilité pour un Etat de prévoir un système probatoire en conformité avec l’article 4 de la directive. En clair, la Cour admet la preuve de l’existence d’un lien causal sur la base d’un faisceau d’indices graves, précis, et concordants, qui doit être rapportée par la victime afin que le juge national se forge son opinion sur la relation entre le défaut du vaccin et la survenance de la maladie.

Mais, la CJUE refuse le mode de preuve par présomption qui permettrait d’établir automatiquement l’existence d’un lien de causalité, dès lors que certains indices concrets et prédéterminés seraient réunis. Ce mode de preuve porterait atteinte, selon la Cour, à la règle relative à la charge de la preuve fixée par la directive.

La victime n’a pas gagné un droit à obtenir réparation du préjudice subi, mais celui de pouvoir faire reconnaitre son préjudice, en l’absence de consensus scientifique sur le lien entre la vaccination et la pathologie, si elle parvient à rassembler les éléments de preuve et à convaincre le juge du fond national en charge de l’interprétation.

Les juges nationaux sont investis du pouvoir d’apprécier le lien de causalité
Dans l’hypothèse où il n’existe pas de consensus médical qui établit ou infirme l’existence d’un lien direct entre l’administration du vaccin et la survenance de la pathologie, le juge national doit apprécier les indices graves, précis et concordants qui permettent de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et d’un lien de causalité entre ce défaut et la maladie. Mais, la décision du juge ne doit pas relever de l’automatisme. Le régime probatoire national qui conduirait à caractériser systématiquement un lien de causalité, dès lors que certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis, serait contraire à l’article 4 de la directive.

La décision de la CJUE ouvre une porte à l’appréciation par le juge national lorsqu’il n’existe scientifiquement aucun consensus permettant d’affirmer ou infirmer l’existence du lien de causalité. Elle reconnait à la victime, en l’absence de lien certain et direct entre la vaccination et la survenance de la pathologie, la possibilité de prouver le lien de causalité en réunissant un faisceau d’indices d’un niveau très élevé pour convaincre le juge du fond national, car il ne saurait y avoir au détriment du fabricant des formes de présomption injustifiées (considérant 34).

L’analyse de la responsabilité du fait du produit défectueux par les juridictions nationales ne manquera pas de conduire à des débats intenses sur les risques de divergences entre les Etats membres, mais aussi en interne entre les différentes juridictions du fond concernant les éléments de preuve à rapporter. Les patients, tout comme les producteurs, se trouvent désormais plongés dans la complexité résultant de l’analyse des éléments caractéristiques de la preuve.

Les critères de la preuve sont fondés sur trois piliers
La CJUE retient comme faisceau d’indices des éléments liés à la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette maladie, de même que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations. Ces éléments, selon la CJUE, paraissent à priori constituer des indices dont la conjonction pourrait, le cas échéant, conduire un juge national à considérer qu’une victime a satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle, en vertu de l’article 4 de la directive.

Ces trois critères nécessiteront au cas par cas une interprétation :

  • le critère de la proximité temporelle sera à préciser dans la mesure où il n’y a pas de consensus sur le délai dans lequel l’effet indésirable, c’est à dire la pathologie, est supposé survenir.
  • la question de l’absence d’antécédents familiaux en relation avec la maladie ne semble pas un critère très pertinent.
  • Enfin, l’analyse d’un nombre significatif de cas répertoriés suppose de démontrer qu’il y ait eu des signalements d’effets indésirables, démontrant, en application des critères de pharmacovigilance, une relation entre la vaccination et la survenance de la pathologie, autre qu’une coïncidence fortuite.

La démonstration des éléments de preuve mis en avant par la CJUE présente donc un degré de complexité important pour le patient. Celui-ci devra réunir des éléments suffisamment précis et pertinents afin que, dans chaque cas spécifique, le juge du fond soit en mesure de considérer l’administration du vaccin comme l’explication la plus plausible à l’existence de la pathologie.

Les producteurs pourront alors avancer un ensemble d’arguments et explications tendant à contrer l’analyse par le juge du fond de ce degré de plausibilité.

Les méthodes d’imputabilité de pharmacovigilance, en France, qui reposent sur les critères d’imputabilité intrinsèque (3 critères chronologiques, 4 critères sémiologiques), et l’imputabilité extrinsèque (recherche des cas identiques dans la littérature) seront à confronter aux arguments avancés par le patient.

Loin d’être clos, le débat sur la vaccination ressurgit sur le terrain national et portera sur les critères et la pertinence des éléments de preuve, afin de démontrer la plausibilité de la vaccination comme cause de la pathologie.

Cette question, qui a pour enjeu la mise en cause de la responsabilité du producteur, mérite la plus grande attention à l’heure où l’extension de la vaccination obligatoire à 11 produits est en discussion au ministère de la santé.

De manière plus large, cette jurisprudence de la Haute Cour de justice est potentiellement transposable à tous les produits de santé (médicaments, cosmétiques, compléments alimentaires,…).

Et ce, au moment même où la polémique enfle sur la prétendue dangerosité d’un certain nombre de produits de santé du fait de la présence dans leur composition de perturbateurs endocriniens ou de nanomatériaux dont on ne connaît pas encore les effets à moyen ou long terme.

Même si la preuve permettant d’établir la responsabilité du fabricant, ou de la personne ayant mis le produit sur le marché, sera difficile à rapporter pour la victime, les patients et leurs familles seront plus enclins à agir en justice.

Le risque d’un contentieux grandissant n’est désormais plus à négliger. Cette nouvelle donne nécessite pour les entreprises commercialisant des produits de santé de mettre en place une organisation capable de faire face tant aux contrôles des autorités qui seront diligentés qu’aux possibles contentieux individuels, voire de masse, qui en résulteront.

* Arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-621/15 W e.a. /Sanofi Pasteur MSD e.a
** Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L210, p.29)

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