Covid-19: menace sur les commandes d’Airbus et Boeing

Après les compagnies aériennes, c’est au tour des avionneurs d’affronter la tempête Covid-19. Confronté à un secteur aérien plongé dans une crise historique, Airbus a annoncé ce mercredi 8 avril la réduction d’un tiers de ses cadences de production. La famille A320 passe ainsi de 60 à 40 appareils produits par mois, l’A330 de trois à deux appareils mensuels, et l’A350 de dix à six avions produits par mois. Le choc est déjà visible dans les chiffres: les livraisons d’Airbus ont déjà chuté de 30% en mars, passant de 55 appareils en février à 36 le mois dernier, et une soixantaine d’avions produits au premier trimestre n’ont pas pu être livrés aux compagnies clientes du fait de la crise du coronavirus. « L’impact de la pandémie est sans précédent, reconnaît Guillaume Faury, président exécutif de l’avionneur. Nos compagnies aériennes clientes sont lourdement touchées par le Covid-19. Nous sommes en dialogue constant avec nos clients et fournisseurs. Nous allons passer ensemble cette période difficile. »

Partout dans le monde  les compagnies lancent des plan de restructuration drastiques. La compagnie allemande Lufthansa a annoncé mardi 7 avril le retrait définitif de sa flotte d’une quarantaine d’avions, dont six Airbus A380, onze A320, sept A340-600 et cinq Boeing 747-400. La filiale low-cost Germanwings est carrément fermée. Le groupe allemand « ne s’attend pas à un retour rapide du secteur du transport aérien au niveau d’avant la crise », a-t-il indiqué dans un communiqué, assurant que le retour de la demande à la normale prendrait « des années ». L’Association internationale du transport aérien (IATA) assurait le 7 avril que quelque 25 millions d’emplois à travers le monde sont menacés dans le secteur du transport aérien, suite à une chute du transport aérien de 70% dans le monde, et de 90% en Europe. 

Pour Airbus et Boeing, les premiers signes avant-coureurs d’une vague massive d’annulations de commandes sont déjà là. Le loueur d’avions irlandais Avolon a annoncé le 3 avril avoir annulé une commande de 75 Boeing 737 MAX et de quatre A330neo afin de « mieux s’aligner sur les conditions de marché » à la suite de la pandémie de coronavirus. Le loueur a par ailleurs reporté la livraison de seize 737 MAX et de neuf avions de la famille A320neo. Les inévitables faillites de certaines compagnies et les plans de restructuration des géants du secteur devraient aboutir à d’autres annonces d’annulations.

Les long-courriers en mauvaise posture

Sur les 13.237 avions qu’Airbus et Boeing avaient en carnet de commandes à fin février, quels contrats sont le plus à risque? « Le carnet de commandes long-courriers est le plus fragile, estime Addison Schonland, analyste au cabinet AirInsight. Le trafic long-courrier sera le dernier à repartir: il faudra au minimum deux ans pour le voir atteindre 50% du trafic d’avant-crise. » Selon Barclays, la production de long-courriers pourrait ainsi passer d’environ 400 appareils en 2019 à 200 en 2023, soit une baisse de 50%. Jefferies évoque quant à lui 60%.

Plusieurs familles d’appareils sont particulièrement menacées, estiment les spécialistes. D’abord, le 777X, le nouveau long-courrier à forte capacité (plus de 400 sièges), dont le géant américain est en train de boucler le développement. « Le 777X est trop gros pour remplacer les 777-200, et les 777-300ER qu’il doit également remplacer sont encore jeunes », souligne Ernest Arvai, du cabinet AirInsight. Boeing affiche toujours 304 commandes pour son appareil, mais le chiffre réel est de 285, Etihad ayant déjà annoncé l’annulation de 19 commandes. Selon Scott Hamilton, du cabinet américain Leeham, plusieurs autres commandes sont à risque, comme celle d’Emirates (115 appareils), Cathay Pacific (21) ou Lufthansa (20). , 

L’A330neo d’Airbus pourrait également souffrir. L’avionneur n’a plus que 291 commandes de l’appareil, version remotorisée de l’A330, à honorer. Parmi celles-ci, 78 sont destinées à AirAsiaX, la filiale long-courrier de la compagnie malaisienne AirAsia, actuellement en fâcheuse posture. « Nous n’envisageons pas plus de deux à trois A330neo produits par mois dans les deux prochaines années », indique Ernest Arvai. Les dernières livraisons d’A380 à Emirates (huit appareils) pourraient également être menacées. Selon Bloomberg, la compagnie de Dubaï a déjà demandé à Airbus le report de ces livraisons. Vu les perspectives du segment des long-courriers, leur annulation pure et simple n’est pas à exclure.

737 MAX, le maillon faible de Boeing

Côté monocouloirs, le 737 MAX apparaît comme le maillon faible, comme l’a montré l’annulation de la commande d’Avolon. Pour le moyen-courrier de Boeing, la crise du Covid-19 s’est ajoutée à celle liée aux deux crashes de Lion Air et Ethiopian, qui l’avait déjà mis à terre. Les annulations de commandes sont pour l’instant très limitées, mais le pire est peut-être à venir. Du fait de l’interdiction de vol de l’appareil depuis mars 2019, Boeing a un stock de 400 MAX en attente de livraison. Une part croissante de ces avions, la moitié selon Leeham, a passé le seuil des 12 mois de retard qui autorise les compagnies à annuler leur commandes. Une vague d’annulations de contrats est donc probable. Ernest Arvai, chez AirInsight, estime que celle-ci pourrait atteindre 20% du carnet de commandes du MAX, soit 900 appareils, et que 60% des commandes pourraient être reportées.

Airbus semble en tout cas mieux armé que son rival américain pour affronter la crise historique qui s’annonce. Il est un peu moins dépendant des long-courriers que Boeing. Sa trésorerie a été moins mise à mal que celle de son concurrent, plombé par le MAX et par les 43 milliards de dollars de rachats d’actions des dernières années. « C’est comme si Boeing avait brûlé 43 milliards pour rien », estime Ernest Arvai. Airbus bénéficie aussi d’un carnet de commandes plus important que le géant basé à Chicago (7.670 avions, contre 5.567 à Boeing), dont plus de 6.200 A320neo. « Airbus est aussi dans une meilleure position car il a deux modèles que le marché veut: l’A220 et l’A321neo », assure Addison Schonland, chez AirInsight.

De quoi amortir la crise, mais certainement pas y échapper. Selon Barclays, un tiers du carnet de commandes d’Airbus avant la crise était constitué de « sur-commandes » qui ne correspondaient pas à un vrai besoin. Pour Boeing, la proportion serait de 50%. Les craintes se concentrent sur les compagnies du sud-est asiatique. « Lion Air, AirAsia ou Vietjet ont passé de grosses commandes de monocouloirs, la question est de savoir s’ils vont vraiment pouvoir les honorer », estime Ernest Arvai.

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