Croissance : le pari de la BCE et de Mario Draghi marchera-t-il ?

La Banque centrale européenne (BCE) a frappé les esprits, jeudi 5 juin, en assouplissant encore davantage sa politique monétaire. Tandis que certains banquiers et hommes politiques crient au génie (ou presque), d’autres économistes ou gestionnaires sont circonspects après l’annonce de ces nouvelles mesures. Difficile pour le citoyen lambda de se faire un avis. Challenges tente de vous expliquer les conséquences potentielles, bonnes ou mauvaises, que pourraient avoir les décisions de la BCE.  

Quelles mesures a prises la BCE ?

La Banque centrale européenne a abaissé une nouvelle fois son principal taux directeur. Il s’agit du taux de refinancement, autrement dit le taux auquel empruntent les banques privées auprès des banques centrales pour se refinancer à court terme. Ce dernier passe à 0,15%, contre 0,25% jusqu’ici. La BCE a aussi décidé de baisser un autre taux directeur: le taux de facilité de prêt marginal, qui sert comme taux d’intérêt pour le marché monétaire lorsque les banques empruntent de l’argent à la BCE en dehors des opérations de refinancement. Il passe de 0,75% à 0,40%.

Surtout, la BCE a pris une décision inédite: le taux de dépôt est désormais négatif à -0,1%. La BCE permet en effet aux banques privées de placer leurs surplus de liquidités chez elle et les rémunèrent pour cela. Désormais, elles devront payer ce service. Autrement dit, si la BNP, le Crédit Agricole ou la Société Générale placent 1 million d’euros auprès de la BCE, elle n’en récupérera que 999.000 euros le lendemain. C’est une première historique pour une grande banque centrale.

Enfin, la BCE a également pris une autre série de mesures, dont l’une des plus importantes est la création de LTRO dit « targeted » (« ciblés ») à 4 ans pour au moins 400 milliards d’euros. Ces « long term refinancing operations » (« opérations de refinancements à long terme ») correspondent à des prêts à long terme (contrairement aux autres prêts dont la durée ne dépasse pas quelques jours ou quelques semaines) qu’accorde la BCE aux banques. Le but de ces prêts est à l’origine de débloquer la situation quand les banques se méfient des autres établissements et refusent de se prêter entre elles. Autrement dit quand le marché interbancaire est grippé. Mais, nouveauté, ces nouveaux LTRO (contrairement à ceux de 2011 et 2012) sont conditionnés. Plus les banques auront prêté de l’argent (à des ménages ou des entreprises), plus elles pourront bénéficier de ces LTRO ciblés.

A quoi cela doit-il servir ?

Toutes ces mesures vont globalement dans le même sens. Elles sont censées redynamiser le marché du crédit. Le raisonnement est le suivant :

  • les banques empruntent moins cher
  • elles répercutent ensuite ces facilités sur les taux des crédits à la consommation, etc.
  • les particuliers ou les entreprises disposent de prêts plus avantageux et sont donc incités à s’endetter davantage
  • cet endettement permet de relancer la consommation et donc la croissance

Parallèlement, cela doit booster l’inflation et affaiblir la monnaie.

« C’est très positif », explique Daniel Gerino, président de Carlton Sélection. « Cela va relancer l’économie en alimentant le système interbancaire tout en pénalisant l’argent stérilisé », détaille-t-il.

« Le Conseil des Gouverneurs de la BCE a délivré tout ce qu’il était raisonnable d’espérer », a salué de son côté dans une note Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo Securities. « Dans la série de mesures annoncées, la plus intéressante est celle qui donne aux banques une incitation à accroître leur production de crédit », a-t-il ensuite souligné à propos des nouveaux LTRO.

Cela va-t-il marcher ?

Rien n’est moins sûr si l’on en croit Olivier Delamarche, associé gérant chez Platinium Gestion, habitué à jouer les Cassandre sur les plateaux de télévision. « Les banquiers sont toujours ravis qu’on leur donne de l’argent », attaque-t-il d’emblée. « Mais on oublie qu’il y a un prêteur et un emprunteur. Ce n’est pas l’offre qui fait le crédit mais la demande », rappelle-t-il. Effectivement, il n’est pas évident que les consommateurs et les entreprises se ruent aux guichets s’ils n’ont pas envie de s’endetter, même si les taux baissent. Comme dit le proverbe, personne n’oblige un âne qui n’a pas soif à boire.

Autre risque: que cet argent frais serve à d’autres choses. Les banques pourraient décider de renforcer leurs fonds propres. Elles pourraient aussi utiliser cet argent pour jouer sur les marchés financiers et faire grimper le prix de certains actifs (comme les actions ou les matières premières), sans relancer la croissance.

« Si les banques ne jouent pas le jeu, elles seront pénalisées. C’est ce qu’a indiqué la BCE », répond Daniel Gerino. Reste que pour l’instant la menace est floue et que ce type de sanctions ont été inexistantes depuis la crise.

Par ailleurs, même si l’argent est bien prêté aux entreprises, rien ne dit qu’il servira à investir dans les outils de production. Cette manne pourrait permettre de racheter des concurrents plus faibles, alors que le marché des fusions-acquisitions est en plein boom. Or, les OPA, si elles font monter les cours en Bourse, sont rarement synonymes de créations d’emploi. Au contraire. « Les OPA sont déflationnistes », juge Olivier Delamarche.

Les décisions de la BCE alimentent aussi les inquiétudes quant aux prévisions de croissance. Si la Banque centrale européenne agit, c’est parce que l’économie fait du surplace.  

Et pour mon crédit immobilier ?

La BCE a indiqué que, en ce qui concerne les LTRO ciblés, elle ne prêtera pas attention aux prêts immobiliers. Autrement dit, elle ne tient pas à inciter les banques à relancer les emprunts immobiliers. Mais, avec ce paquet de mesures, « il faut s’attendre à de nouveaux plus bas historiques sur les taux », prévoit néanmoins Pascal Beuvelet, président fondateur d’In&Fi Crédits et membre fondateur de Century 21. Les taux sont déjà exceptionnels: 2,85% en moyenne, du jamais vu depuis la guerre

Toutefois, cette baisse attendue ne sera pas spectaculaire, de quelques décimales tout au plus. « On atteint un plancher. N’oublions pas que les banques ont aussi des frais à assumer » pour délivrer ces crédits, ajoute Pascal Beuvelet.


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