Départementales : pourquoi une « rouste » de la gauche se profile

Les uns prophétisent « une dérouillée monumentale », les autres une « rouste maousse », d’autres, plus directs, annoncent sèchement « une branlée » ! Même les – rares – socialistes qui ont la foi du charbonnier ne croient pas que les élections départementales des 22 et 29 mars puissent se solder par une victoire. « Ce sera une défaite historique », reconnaissent même les candidats des gauches qui s’attendent tous à être peu ou prou sanctionnés. Car dans le naufrage général « des forces de progrès » personne ne sauvera sa peau en courant aux chaloupes, tout en dénonçant ceux qui tentent encore de faire avancer le pédalo élyséen ! Ils vont couler ensemble…

Pourtant, le Premier ministre s’est lancé dans la bataille et, avec lui, les membres du gouvernement qui ont un poids dans l’opinion tel le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Sans grande illusion, mais avec la volonté de limiter les dégâts. Si possible. Il est vrai que l’on perd plus sûrement les batailles que l’on ne livre pas, comme cela avait été le cas lors des municipales. Avec le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, il avait été décidé de les localiser, ce qui fut fatal. Cette fois, « il faut se battre », répète à tous vents Manuel Valls, et les impétrants sur le terrain s’accrochent à ses bons sondages pour tenter de ne pas sombrer dans le désespoir. Mais les enquêtes d’opinion nationales, comme le porte à porte, livrent le même verdict implacable : les électeurs de Hollande demeurent démobilisés, encore plus que ceux de l’UMP. Alors que le FN seul dispose d’une dynamique conquérante…

« Il y a pourtant eu un début de remobilisation », regrette le député Christophe Borgel, en charge des élections au PS. L’esprit du 11 janvier était là, qui redonnait de la vitalité à des socialistes heureux d’avoir enfin au sommet de l’Etat des responsables dont ils pouvaient être fiers. François Hollande ne passe plus pour un clown, et Manuel Valls peut faire bouger en rythme ses maxillaires sans qu’on l’accuse de battre la campagne comme s’il avait perdu la raison. Ils incarnent l’autorité de l’Etat, mais ça ne suffit pas. La crise les a rattrapés, et ceux d’en bas se sentent toujours oubliés. Pourquoi iraient-ils voter pour un pouvoir qui paraît les avoir abandonnés, alors que de surcroit les gauches se disputent pour d’obscurs prétextes ? Même si la courbe du chômage s’inversait enfin et s’il y avait une reprise économique forte, ce qui paraît aléatoire, il faudrait des mois et des mois avant que ce soit perçu et crédible. En attendant, les bisbilles internes ont provoqué des dégâts.

Messages de mobilisation pour limiter la casse

« La polémique sur la loi Macron et le 49/3 ont eu un mauvais effet sur le moral des troupes », reconnaît Christophe Borgel. Et jamais les gauches n’ont évité la déroute quand elles partent au combat en ordre dispersé, en se tapant même dessus. L’extrême-gauche ne retrouve sa verve que lorsqu’elle cogne sur ses anciens camarades qu’ils ont contribué à porter aux affaires. Sans paraître devoir en tirer quelque profit que ce soit. Il n’y a pas d’effet Tsipras en France. Pas d’alternative à la gauche de la gauche…

Jean-Christophe Cambadélis et les dirigeants du PS s’escriment toutefois à faire passer des messages de mobilisation afin de limiter la casse, autrement dit afin de ne pas perdre plus d’une vingtaine de départements (ça pourrait être une trentaine sur la soixantaine qu’ils dirigent). Afin de sauver les meubles et quelques ressources décisives pour les combats à venir, notamment régionaux, les mots d’ordre sont donc passés : il faut nationaliser la campagne, autrement dit, « en appeler au sursaut pour la République et contre le Front national ». « Pour une gauche de protection et de mouvement. Une gauche unie ! ». Ils vont donc inlassablement « taper sur ces clous ». Mais sur le terrain, certains candidats PS se demandent s’ils ne sont pas en train de se crucifier ainsi, et tablent plus sur leur notoriété comme sur leur bilan. Mais comme on s’accroche à une bouée dans une mer houleuse et parfois déchainée. Pourtant, « c’est bien la force de l’implantation de certains élus qui pourraient les sauver », relève l’expert électoral indépendant Xavier Chinaud. Mais les cantons ont redécoupés, agrandis : le lien avec l’électeur s’est distendu.

C’est peu dire qu’ils n’ont pas un moral de gagnant. Il y a quelques semaines cependant, lors de la législative partielle du Doubs, le candidat PS répétait sur tous les tons qu’il allait gagner. Un esprit de vainqueur, ça aide. Il est vrai que cette victoire de Barbier fut acquise sur le fil du rasoir, si l’on ose écrire. Là, les impétrants socialistes avancent vers le scrutin départemental tels des condamnés. On ne les fait qu’à peine sourire en leur rappelant qu’avant de monter à l’échafaud pendant la Révolution il est arrivé que quelque noble corne la page du livre qu’il lisait afin de pouvoir lire la suite plus tard. Il ne faut jamais désespérer…


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