Devises et taux : Au sommet de la Fed, on ne s'entend pas sur les fondamentaux monétaires

par Howard Schneider et Ann Saphir

MINNEAPOLIS/SAN FRANCISCO, 15 mai (Reuters) – Les plus proches collaborateurs de Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, veulent apparemment étaler au grand jour leurs divergences sur les éléments fondamentaux de la politique monétaire, ce qui ne serait pas sans répercussions sur le processus de normalisation monétaire.

La faille semble se creuser autour de notions telles que le taux dit neutre, une notion abstraite mais qui a pourtant des incidences sur le rythme de remontée des taux d’intérêt, ou encore la manière dont la banque centrale doit se préparer à gérer la prochaine récession.

Autant de questions pointues sur lesquelles les hautes sphères de la Fed sont susceptibles de s’affronter à coups de modèles et pensées économiques, laissant le soin à Powell, qui n’est pas un économiste, de trancher.

John Williams, le président de la Fed de San Francisco, a lancé un pavé dans la mare mardi en confirmant que, selon lui, la Fed n’a plus qu’à procéder à quelques hausses des taux seulement avant de parvenir à la neutralité des taux.

« Il importe de faire la différence entre la solide conjoncture économique du moment et les principaux paramètres des taux d’intérêt à long terme », a-t-il dit dans un discours. Malgré les stimulants que sont la réforme fiscale et les dépenses publiques, « les paramètres à long terme continuent de renvoyer à une ‘nouvelle normalité’ faite d’un (taux neutre) bas et de taux d’intérêt relativement bas ».

Cette opinion fait contraste avec l’optimisme affiché par certains de ses collègues et certains économistes. Randal Quarles, vice-président de la Fed chargé de la surveillance financière, déclarait ainsi en février qu’il y avait selon lui une « réelle possibilité » de voir l’économie s’ajuster sur une trajectoire de croissance plus puissante.

Williams, dont les recherches l’ont aidé à convaincre la plupart de ses collègues que le taux d’intérêt neutre était bien plus bas que par le passé, verra sans doute son influence encore grandir lorsqu’il assumera la présidence de la Fed de New York le mois prochain, se rapprochant ainsi un peu plus de Powell et s’octroyant un droit de regard plus acéré sur la formation de la politique monétaire.

Lors de son audition de confirmation, qui s’est tenue aussi mardi, Richard Clarida, nouvellement nommé au « Board » de la Fed, a soulevé ce qui pourrait être une nouvelle pomme de discorde, à savoir l’opportunité de combattre les récessions en rachetant massivement du papier obligataire.

Clarida, un économiste qui conseille le gérant de fonds Pimco, a paru sceptique à ce sujet.

Même si, à l’origine, le programme de rachats obligataires (ou d’assouplissement quantitatif, QE) de la Fed « pouvait se comprendre », a dit Clarida, ce dernier a ajouté qu’il n’était pas certain de la manière dont il aurait voté ses successives reconductions. « Je pense vraiment que les avantages du QE n’ont cessé de diminuer avec le temps, alors qu’au contraire ses inconvénients augmentaient », a-t-il dit.

Ce programme QE, peu goûté par les parlementaires républicains en particulier, a été lancé au coeur de la crise financière pour stabiliser les systèmes bancaire et financier. Il a été maintenu et étendu durant la phase de reprise pour faire baisser le chômage et faire remonter une inflation tombée dans les tréfonds des statistiques.

Pour Williams, le programme QE était un pilier essentiel d’une politique monétaire accommodante et il a ajouté que la banque centrale n’aura d’autre choix que de jouer à nouveau de l’assouplissement quantitafif face aux futures récessions.

Les seules baisses de taux, lancées à partir d’un point de départ qui serait déjà relativement bas et qui ne pourraient descendre en deçà du zéro, seraient insuffisantes à elles seules pour dynamiser l’économie, avait dit Williams par le passé.

Ce dernier prône aussi une réflexion sur l’objectif d’un taux d’inflation de 2%. On peut penser, dit-il, que fixer un nouveu cadre à la politique monétaire donnerait un peu plus de marge de manoeuvre à la banque centrale en lui permettant de garder des taux bas plus longtemps même si l’inflation atteignait, voire dépassait, son objectif de long terme.

Clarida ne s’est pas apesanti sur ce point lors de son audition et pas davantage sur la question du taux neutre. Mais ni lui ni sa collègue pareillement nommée Michelle Bowman ne peuvent douter que ce sera un thème qui donnera lieu à des débats animés dans les mois à venir. (Wilfrid Exbrayat pour le service français)

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