Economie : Cinq questions avant la réunion monétaire de la BCE

par Dhara Ranasinghe, Ritvik Carvalho et Tommy Wilkes

LONDRES, 4 mars (Reuters) – Deux mois après avoir mis fin à son programme de rachats d’actifs en masse, la Banque centrale européenne (BCE) est instamment priée de trouver les moyens de protéger la zone euro d’un ralentissement économique prolongé.

La BCE tiendra sa réunion de politique monétaire jeudi, ainsi que la traditionnelle conférence de presse de son président Mario Draghi, à quoi s’ajouteront ses dernières prévisions économiques.

« Il y a la possibilité dorénavant, d’avoir au moins une discussion sur ce qu’elle (la BCE) peut faire pour améliorer la situation macroéconomique », dit Florian Ielpo, directeur des études macroéconomiques d’Unigestion.

Voici cinq des principales questions qui préoccupent les investisseurs actuellement:

1. Peut-on s’attendre à avoir des précisions sur une nouvelle salve de prêts bonifiés au bénéfice des banques ?

La BCE se prépare à servir une nouvelle fois aux banques des prêts avantageux sur le long terme et pour les investisseurs il importe d’en connaître les conditions. Barclays pense que ces conditions seront moins généreuses que par le passé, que le volume sera plus faible et le taux d’intérêt variable.

Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, a pris les marchés par surprise le mois dernier lorsqu’il a dit que l’idée de nouveaux crédits bonifiés était examinée. En outre, la nette baisse du crédit aux entreprises non financières de la zone euro en janvier donne aux responsables monétaire un autre motif d’aider les banques.

Une annonce sur ces prêts, baptisés opérations de refinancement à long terme (LTRO) peut-être ciblées (TLTRO), pourrait intervenir cette semaine, de l’avis de certains économistes. D’autres pensent que la BCE se donnera plus de temps pour faire le point de la situation économique.

Dans la mesure où les précédentes TLTRO arrivent à terme à la mi-2020, la BCE voudra peut-être agir autour de juin pour que la liquidité des banques ne se retrouve pas épuisée par ces échéances.

« Non seulement la BCE va discuter des LTRO mais il faudra encore qu’elle laisse plus ou moins entendre qu’une prolongation se profile à l’horizon faute de quoi les marchés risquent d’être déçus », observe Frederik Ducrozet, stratège de Pictet Wealth Management. Ce dernier anticipe une décision en avril et la mise en place des prêts en juin. 

2. Quelle sera l’ampleur de la révision à la baisse des prévisions économiques de la BCE ?

Dans la mesure où l’économie allemande connaît quelques ratés et où l’Italie se retrouve en récession, il est quasiment acquis que la BCE va réviser sensiblement ses projections de croissance et d’inflation.

Les marchés doivent accorder une attention particulière aux projections de 2020, disent les économistes, parce qu’elles révèlent au mieux à quel point la banque centrale peut être préoccupée par l’évolution de la croissance, alors que certains indicateurs récents semblent renvoyer eux à un redressement de l’activité économique dans le courant de l’année.

Les analystes d’ABN Amro pensent que les projections de la BCE sur l’inflation de base, autrement dit hors prix énergétiques et prix alimentaires, sont trop hautes.

Un étalon très suivi des anticipations des investisseurs à long terme sur l’inflation est bien inférieur à l’objectif d’inflation de la BCE, soit un petit peu moins de 2%, mais il a remonté par rapport à ses plus bas récents et ressort actuellement à 1,50%. 

3. La BCE pourrait-elle modifier sa formule suivant laquelle les taux d’intérêt ne bougeront pas au moins jusqu’à l’été ?

C’est peu probable, au vu des propos tenus récemment.

Philip Lane, le futur économiste en chef de la BCE, jugeait récemment que le ralentissement économique de la zone euro n’induisait qu’une révision à la baisse limitée des prévisions de la BCE et que la politique monétaire actuellement poursuivie devait pouvoir gérer cette situation.

Quant à Jens Weidmann, le président de la Bundesbank et successeur possible de Mario Draghi à la tête de la BCE, il estime qu’il n’est pas nécessaire que la BCE reporte officiellement le calendrier d’une hausse des taux.

Les investisseurs eux ne voient pas de hausse des taux avant la mi-2020.

Marchel Alexandrovich, économiste de Jefferies, n’exclut pas toutefois un changement inattendu.

« Ce serait peut-être l’occasion pour la BCE de suggérer que les marchés n’ont pas tort de repousser le moment d’une première hausse des taux », dit-il. 

4. Dans quelle mesure la BCE s’inquiète-t-elle des tensions commerciales entre les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) ?

C’est une préoccupation majeure pour elle compte tenu des retombées néfastes potentielles pour l’énorme secteur à l’export de la zone euro si la situation empire.

Les Etats-Unis instaureront des droits de douane sur les importations d’automobiles européennes si aucun accord commercial n’est trouvé avec l’UE, a déclaré le mois dernier le président américain Donald Trump.

La Commission européenne est disposée à ouvrir les négogiations mais la France a exprimé ses réserves.

De nouveaux droits de douane américains sur l’automobile européenne toucheraient durement un secteur qui a déjà du mal à s’adapter à de nouvelles normes d’émission et compliquerait la tâche de la BCE en vue de redonner du dynamisme à l’économie de la zone euro.

Mario Draghi n’a pas manqué de souligner que des décisions à sens unique en matière de commerce international sont dangereuses et propres à saper la confiance. 

5. Dans quelle mesure l’inconnue de la succession de Draghi a-t-elle des répercussions sur la politique monétaire ?

Mario Draghi, dont le mandat arrive à terme en octobre, ne fera sans doute aucun commentaire sur les conjectures relatives à sa succession mais il est vraisemblable aussi que le sujet sera abordé dans la mesure où l’incertitude qui y est attachée peut affecter la politique monétaire.

Toute décision attendra sans doute après les élections au Parlement européen en mai, encore que les grandes manoeuvres semblent avoir commencé en coulisses.

Berlin a donné son feu vert à un second mandat de huit ans pour Jens Weidmann à la tête de la Bundesbank, ce qui lui permet de rester dans la course à la BCE avec François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France.

Rigoriste, Weidmann n’a pas ménagé ses critiques envers la politique ultra-accommodante de la BCE, ne se faisant pas que des amis au passage.

Pour ceux qui investissent dans le secteur bancaire, plombé par un taux des dépôts à la BCE négatif, un tour de vis serait le bienvenu et le reconduction de Weidmann à la Bundesbank a dopé les valeurs bancaires de la zone euro.

(Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Véronique Tison)


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