Essilor: l’affaire qui embarrasse l’Autorité de la concurrence

Peut-on siéger au collège de l’Autorité de la concurrence tout en étant concerné de près par une enquête de ladite autorité? C’est la question qui empoisonne en ce moment Bruno Lasserre, le président de l’institution de la rue de l’Echelle. Au petit matin du 9 juillet 2014, une équipe des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence a débarqué au 147 rue de Paris à Charenton le Pont (Val de Marne), siège du géant mondial d’Essilor. Ces agents assermentés ont passé des heures à se faire livrer des documents, à faire parler les ordinateurs et sont repartis avec des dossiers bien épais sous le bras. Une perquisition qui fait désordre pour cette entreprise du CAC 40 « soucieuse d’être droite, transparente et éthique », comme la présente Paul du Saillant, directeur général adjoint. Le jour même une autre équipe procédait à des fouilles similaires au siège de BBGR, une filiale d’Essilor. 

Des perquisitions que Carol Xueref n’a pas pu ignorer. Cette brillante juriste est directrice des affaires juridiques d’Essilor. Mais elle siège aussi au collège de l’Autorité de la concurrence au titre de représentant de la sphère privée. Elle a été nommée à cette fonction sur la proposition de Thierry Breton, ministre de l’Economie et des Finances, en 2006. Ils sont 12 à siéger au collège mais seulement quatre membres sont issus d’entreprises privées.

Dans le viseur depuis plusieurs années

Essilor est bien connu des services de l’Autorité. Car ce n’est pas la première fois que la multinationale fait l’objet d’une enquête poussée. A deux reprises déjà, en 2001 et 2009, elle s’est penchée sur le cas Essilor pour, à chaque fois, conclure à une concentration extrême de ce secteur: « un producteur, la société Essilor et sa filiale BBGR détiennent environ 90% du marché », concluait, le 19 juillet 2001, le régulateur à la suite d’une saisine de Casino France. Des rapports que Carol Xueref a forcément lus avant d’accepter l’offre de Thierry Breton.

Pour Bruno Lasserre, il n’y a pas de risque de conflits d’intérêt: « elle n’a jamais siégé sur ces dossiers qui relèvent de son secteur d’activité. L’enquête est conduite de façon totalement indépendante par les services d’instruction, au point qu’elle a appris le jour même la perquisition au siège d’Essilor ». Le problème c’est qu’Essilor a interjeté appel auprès de la Cour d’Appel de Paris pour contester cette visite inopinée. Et qui a géré ce contentieux? Les services dirigés par Carol Xueref! « Je suis à la retraite depuis le 1er janvier 2016 et c’est mon successeur qui a la main sur ce dossier depuis 2014″, tente de justifier l’intéressée… Visiblement embarrassé Bruno Lasserre finit par reconnaître l’ambiguïté de la situation. « Je reverrai la situation avec Carol Xueref lors d’une éventuelle notification des griefs et lui demanderai de se mettre en congé jusqu’au prononcé de la décision », déclare-t-il à Challenges. Pas sûr que cela suffise à rassurer les concurrents d’Essilor et les vendeurs de lunettes low cost qui estiment que ce groupe détient entre 60 à 80% du marché français et profite de sa position pour commercialiser des verres toujours plus chers.

La suite à lire dans Challenges numéro 471 daté du jeudi 31 mars.

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