Frais bancaires : comment l'Europe freine l'appétit des banques

Pour construire l’espace unique de paiement en euros (ou SEPA), les institutions européennes n’ont pas hésité, depuis 20 ans, à contraindre les pratiques tarifaires des banques.

A compter du 15 décembre 2019 (avec, très certainement, une période transitoire), les frais appliqués aux paiements – virements, paiements par carte, retraits d’espèces – effectués en euros depuis un Etat membre de l’Union européenne n’appartenant pas à la zone euro devront être alignés sur ceux facturés pour un paiement de même montant effectué dans la monnaie nationale. En clair, un virement émis depuis la Pologne vers la France comptera le même prix qu’un virement entre deux comptes situés en Pologne. A la même date, le coût du change, par exemple quand vous retirez des zlotys (la monnaie polonaise) depuis un compte en euros, devra être affiché clairement et de manière unifiée.

Lire aussi : Frais bancaires : l’Europe abaisse le prix des paiements transfrontières

Les paiements, « une entrave à la concurrence »

Sur le papier, ce nouveau règlement n’est pas une révolution pour les consommateurs français. Tout juste permettra-t-il de limiter les pratiques de certaines banques ou certains commerces, qui proposent aux touristes de la zone euro de s’occuper, à la place de leur banque, de cette conversion monétaire. Une bonne affaire a priori, puisqu’elle permet d’éviter les frais de paiement ou de retrait en devises, mais qui s’avère rarement avantageuse, en raison du niveau des frais de change appliqués.

En revanche, pour les ressortissants de l’UE dont la monnaie n’est pas l’euro – la Bulgarie, le Danemark, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Suède -, c’est une excellente nouvelle. « Les consommateurs se plaignent régulièrement du manque de transparence des frais bancaires. Dans ces pays, les transactions vers les pays de la zone euro continuent ainsi de coûter extrêmement cher », constate Sarah Abitbol, juriste au Centre Européen des Consommateurs France, un service paneuropéen pour les consommateurs. « Des frais qui pénalisent les consommateurs, les découragent d’acheter à l’étranger et sont donc une entrave à la concurrence au sein de l’Union. Avec ce nouveau règlement, il s’agit d’aligner les règles de la zone non euro sur celles de la zone euro. Les banques restent libres de leurs tarifs – ces derniers ne sont pas plafonnés – mais le prix affiché devra correspondra au prix finalement payé par le consommateur. »

Lire aussi : Carte bancaire : 5 questions à se poser avant de payer à l’étranger

20 ans après l’euro, l’intégration en voie d’achèvement

De manière symbolique donc, ce règlement achève un processus inauguré en 1999 avec le lancement de l’euro, et dont l’objectif était de créer au sein de l’Union européenne un espace unique de paiements, permettant notamment le libre commerce : le SEPA (pour Single Euro Payments Area), qui regroupe aujourd’hui les 28 pays-membres de l’Union européenne — dont 19 font partie de la zone euro — ainsi que l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège, la Suisse, Monaco et Saint- Marin. « Depuis 20 ans, les institutions européennes ont porté ce projet : permettre à chaque consommateur européen de payer partout au même prix que dans son propre pays », confirme Sarah Abitbol.

Et pour y parvenir, les institutions européennes n’ont pas hésité à contraindre les pratiques tarifaires des banques. Ce fut ainsi le cas avec la directive sur les services de paiement (DSP) qui, en novembre 2009, a créé l’Iban (l’identifiant bancaire européen), permettant l’alignement des tarifs des virements et prélèvements à l’échelle de la zone euro, et a mis fin au monopole bancaire dans le domaine en créant les établissements de paiement. Puis en août 2014 avec une nouvelle directive imposant la transparence et la comparabilité des frais.

En décembre 2015, le règlement sur les commissions d’interchange – ces frais payés, lors d’un achat par carte bancaire, par la banque du commerçant à celle du client – a plafonné leur niveau, entraînant un vrai manque à gagner pour les banques. Enfin, en janvier 2018, la révision de la directive sur les services de paiement (DSP2) a encore ouvert le jeu de la concurrence en donnant une assise juridique à des nouveaux acteurs, les « prestataires de services d’information sur les comptes » et les « fournisseurs de services d’initiation de paiement », à l’image de Bankin’ et Linko, et en contraignant les banques à leur donner un accès aux données de paiement de leurs clients.

De l’esprit des lois au terrain, toujours un écart

Toutefois, si du point de vue législatif, la boucle du SEPA semble désormais bouclée avec le règlement sur les paiements transfrontières, le processus d’intégration, lui, est encore loin d’être achevé. Exemple avec l’Iban : « Les refus d’Iban étrangers sont encore monnaie courante », constate Sarah Abitbol. « Nous sommes régulièrement sollicités par des consommateurs disposant d’un compte en Allemagne, dont l’Iban commençant par DE est refusé par des créanciers français, parfois même des administrations. »

Du côté de la DSP2 également, plus d’un an après son entrée en vigueur, le flou règne encore. Exemple avec l’authentification forte des paiements en ligne, un pan très important du texte alors que la fraude est de plus en plus sophistiquée, mais dont on ne sait pas encore exactement comment elle va être mise en œuvre concrètement. Entre l’esprit des lois et la réalité de leur application sur le terrain, le fossé est encore loin d’être comblé.

Actualité économique sur cbanque.com