France Télécom: l’inspection du travail accable la direction

La politique de harcèlement moral génératrice de suicides à France Télécom remonte au sommet de l’entreprise, a déclaré jeudi l’inspectrice du travail qui a signalé l’affaire à la justice, au troisième jour du procès de sept anciens dirigeants. « Je n’y peux rien », avait déclaré mardi Didier Lombard, l’ancien PDG de 77 ans, évitant des excuses tout en disant le « profond chagrin qui demeurera le (sien) pour ceux qui n’ont pas supporté la transformation ».

Pour réduire en trois ans ses effectifs de 22.000 personnes et en transférer 10.000 autres, l’opérateur historique de télécommunications en France a mis en place en 2006-2010 un « crash-plan » en deux parties, « Act » et « Next », soupçonné d’être à l’origine d’une vague de suicides. L’ordonnance de renvoi en correctionnelle retient le cas de 39 victimes, dont 18 suicides et 13 tentatives de suicide en deux ans, entre avril 2008 et juin 2010.

« Il n’était pas écrit dans ‘Act’ : ‘les managers vont harceler le personnel' », a déclaré à la barre l’inspectrice du travail du siège social de France Télécom, Sylvie Catala, détachée pendant cinq mois pour faire la lumière sur les suicides à l’automne 2009, « mais Act, ça contenait la possibilité en germe de commettre ces agissements ». Les managers ont appliqué avec un zèle variable le plan, a-t-elle noté, citant un rapport du cabinet Technologia qui distingue « les exécutants, les protecteurs et les exécuteurs, qui vont au-delà ».

Face à la complexité d’organiser des licenciements dans une entreprise comptant deux tiers de fonctionnaires, et en l’absence d’accord avec les syndicats, la direction a mis l’accent sur les mobilités, contraintes selon les plaignants. Les fonctionnaires, contrairement aux salariés de droit privé, peuvent en effet être mutés « dans l’intérêt du service ».

« Une politique d’entreprise »

« On demandait au salarié de se trouver un poste (…) après lui avoir signifié que son poste était supprimé », a résumé l’inspectrice du travail, citant des « pratiques brutales ». « On est sur une politique d’entreprise, pas sur une décision individuelle de manager. » Affirmant n’avoir jamais rencontré une telle quantité de témoignages écrits de mal-être au travail, elle a déploré que les alertes des médecins du travail, des représentants du personnel ou encore des CHSCT, n’ait pas été suivies.

« Ça aurait dû attirer l’attention, ce n’est pas normal qu’autant de choses se passent sur tout le territoire national et que ce n’est qu’en 2009, ou plus exactement fin 2008, que l’on décide d’y faire quelque chose », a-t-elle déclaré. Patrick Ackermann, salarié de l’entreprise depuis 32 ans, responsable fédéral SUD et auteur de la première plainte dans cette affaire, a décrit pour sa part une direction aveugle.

« Nous avions face à nous une direction qui refusait de discuter, d’entrevoir même l’idée qu’il y avait des suicides », a-t-il dit à la barre, évoquant la création en 2007 d’un « observatoire du stress et des mobilités » par les syndicats et la création d’un questionnaire rassemblant quelque 3.000 réponses sur le sujet. Il a évoqué plusieurs suicides. Dès le début des années 2000, celui d’une connaissance, un technicien parisien de 45 ans, James, muté dans un poste moins valorisé, puis hors de Paris ; en 2009, Nicolas Grenoville, 28 ans, qui s’est pendu à Besançon ou Stéphanie, 32 ans, qui s’est défenestrée à Paris.

Après la privatisation de l’entreprise en 2003, « le statut de fonctionnaire dont les gens avaient l’impression qu’il les protégeait corps et âmes d’une certaine manière se révélait une peau vide », a décrit Patrick Ackermann, qui est également partie civile, énumérant les fermetures de sites, mutations forcées et la fin en 2006 des mesures de « congé fin de carrière » qui accompagnaient les départs à partir de 55 ans. Face à lui, les avocats de France Télécom ont mis en cause la posture du syndicat, qui avait refusé en 2003 de signer un accord sur la gestion de l’emploi et des compétences. Ils ont par ailleurs critiqué l’évaluation de l’inspectrice du travail, dont elle a reconnu elle-même qu’elle était une « compilation de documents », et évoqué ses liens avec les syndicats.

(Avec Reuters)

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