François Pérol, ou le pantouflage au tribunal

C’est un procès sans précédent dans l’histoire politico-financière du pays. A partir du 22 juin, François Pérol, le président du Groupe BPCE, issu de la fusion des Banques populaires (BP) et des Caisses d’épargne (CE), comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour prise illégale d’intérêts. Il encourt une peine maximale de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Le juge Roger Le Loire et le parquet financier lui reprochent d’avoir pris la tête du deuxième groupe bancaire français après avoir suivi lui-même la fusion à l’Elysée, comme conseiller économique de Nicolas Sarkozy. Voilà le pantouflage à la française, nourri par les liens étroits entre les grands corps de l’Etat et les champions du privé, qui se retrouve devant la justice.

Le parcours de l’inspecteur des finances, émaillé d’allers-retours entre le milieu bancaire et le sommet de l’Etat, est un cas d’école. Pérol a commencé à se pencher sur le sujet BPCE dès 2003 : en poste au cabinet du ministre Francis Mer à Bercy, il suit de très près la prise de contrôle de la banque d’affaires Ixis par les Caisses d’épargne. Puis, en 2005, il part pantoufler une première fois chez Rothschild & Cie. Il aide alors le groupe Banques populaires à marier sa filiale Natexis à sa rivale Ixis pour donner naissance à Natixis. Le dossier revient ensuite sur son bureau lorsqu’il est nommé secrétaire général adjoint de l’Elysée en 2007. Plombée par la crise financière et des erreurs de gestion, Natixis doit être renflouée d’urgence par l’Etat. L’exécutif en profite pour pousser la fusion des deux maisons mères, BP et CE, contaminées par les difficultés de leur filiale.

« Habillage déontologique »

Aux enquêteurs, Pérol a assuré que le dossier n’était qu’ »un petit sujet dans son emploi du temps » : il n’aurait rencontré que trois ou quatre fois les dirigeants des banques. Mais l’exploitation des livres d’entrée de l’Elysée et des agendas a révélé pas moins de quatorze rendez-vous d’octobre 2008 à février 2009. Le 21 février, les banquiers sont convoqués pour sceller l’opération baptisée Sequana. Selon Bernard Comolet, président évincé des Caisses d’épargne, Nicolas Sarkozy a accepté d’apporter 5 milliards d’euros à condition que la fusion se fasse vite. Et il a clairement imposé Pérol comme patron du nouvel ensemble.

Pour ce faire, il faut l’accord de la commission de déontologie. Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, prend langue avec son président, qui se fend d’un courrier expliquant la procédure et la jurisprudence. Une lettre dont se prévaudra Nicolas Sarkozy pour arguer du feu vert de la commission alors qu’elle n’a pas été saisie formellement. Un arrangement avec les faits qui provoquera la démission de deux membres de cette instance. « Aucune des dispositions légales et réglementaires n’a été respectée par François Pérol ou par son supérieur hiérarchique Claude Guéant, tacle le juge dans son ordonnance de renvoi. Tous les deux se sont affranchis des règles et ont, de concert, procédé à un « habillage déontologique ». »

Les syndicats CGT et SUD des Caisses d’épargne, et un cadre licencié par Pérol, Nathanaël Majster, attaquent la nomination en justice. D’abord enterrées par le parquet de Paris, les plaintes débouchent finalement sur la désignation d’un juge en 2012 et plus de deux ans d’enquête durant laquelle même le « visiteur du soir » Alain Minc sera entendu. Car il ne suffit pas que Pérol ait court-circuité la commission pour caractériser la prise illégale d’intérêts. Selon les textes, il faut prouver qu’il a formulé, lorsqu’il était à l’Elysée, des avis sur des contrats conclus par les banques ou proposé à l’autorité compétente des décisions relatives à des opérations les concernant, ou donné un avis sur ces décisions.

Notes à Nicolas Sarkozy

Pour le juge et le parquet financier, qui a repris l’affaire, il n’y a pas de doute : Pérol, membre du groupe de crise qui gérait le dossier au sommet de l’Etat, a bien donné son avis sur le « contrat » financier entre l’Etat et les banques. Dans une note en vue de la réunion de février 2009 avec les banquiers, le conseiller détaille les modalités de déblocage des fonds publics et les conditions de gouvernance, notamment le nombre minimal d’administrateurs de l’Etat et le… recrutement d’un dirigeant extérieur aux deux groupes. Il suggère à Nicolas Sarkozy « de leur faire part de la position définitive de l’Etat sur chacune de ces conditions, sans laisser trop de place à la discussion ». Durant l’enquête, Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, a assuré que Pérol s’était occupé de la « mécanique générale » des protocoles d’accord entre l’Etat et les banques, ce que conteste la défense. Et que l’aide financière n’aurait jamais été accordée sans l’accord de l’Elysée.

Pérol s’est tout autant impliqué dans l’opération de fusion, rédigeant neuf notes à ce sujet. Dans l’une d’elles, datée d’octobre 2008, il propose de faire passer les messages suivants aux dirigeants des Caisses d’épargne : « Le rapprochement avec le groupe des Banques populaires doit être la priorité. Il faut aller aussi vite que possible » ; « nous devrons définir avec eux les nouvelles règles de gouvernance de l’ensemble fusionné. » Richard précise que Pérol a organisé et animé une réunion avec les services de Bercy et de la Banque de France pour évoquer le projet, ajoutant : « Il était notoire que sous la présidence de Nicolas Sarkozy le pouvoir de décision avait été très concentré à l’Élysée ». Enfin, le juge s’appuie sur les échanges de courriels qui « établissent tous la très forte implication de François Pérol et de la présidence en qualité d’arbitres susceptibles d’intervenir de manière influente dans le dossier du rapprochement, bien avant la crise financière de septembre 2008 ». Crise qui aurait servi de « prétexte » pour justifier l’intervention de l’Elysée et accélérer le processus.

Christian Noyer à la barre

Face à ces accusations, Pérol a déclaré n’avoir jamais été candidat à ce poste, mais qu’il était de son « devoir » de l’accepter. Il affirme surtout qu’il s’est borné à relayer les positions de Bercy auprès de Nicolas Sarkozy. « Ses notes ne sont destinées qu’au président afin de l’informer, notamment avant ses rencontres avec les banquiers, avance son avocat Pierre Cornut-Gentille. Il ne s’agit ni d’avis ni d’instructions donnés aux autorités compétentes que sont la Banque de France, le Trésor et la ministre des Finances. » L’avocat va d’ailleurs appeler à la barre Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, qui a déjà livré un témoignage très favorable au patron de BPCE. En face, les avocats des syndicats ont cité comme témoins à l’audience, programmée jusqu’au 29 juin, Claude Guéant et… Nicolas Sarkozy. Ce dernier devrait opposer l’immunité présidentielle pour s’abstenir de faire le déplacement. 

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