Franprix met l’innovation au coeur de ses rayons

Lors de l’ouverture du magasin parisien de la rue Mouffetard, en juillet 2017, le directeur général de Franprix Jean-Paul Mochet est resté une journée entière à examiner les clients. Incognito, il les observait découvrir le nouveau concept de l’enseigne, Franprix Noé, dont l’essentiel de l’offre a été revu avec de nombreux produits vendus en vrac, beaucoup de bio, mais aussi du frais et du local, comme les herbes aromatiques des Fermes de Gally. Certains étaient déroutés et ressortaient le cabas vide – presque toutes les marques nationales ont disparu des rayons, y compris le Coca-Cola ! Mais beaucoup apprécient, selon le dirigeant. « Ils m’ont dit : “Enfin, vous avez compris ce que nous voulions !”» Depuis, quatre autres Franprix Noé ont ouvert dans la capitale.

Plus de services

Cet été, c’est un autre concept que l’enseigne de supermarchés urbains a dévoilé rue de Montreuil, dans le XIe. Baptisé Darwin, il reprend des marqueurs forts de Noé, avec des dizaines d’articles vendus en vrac (croquettes pour chats, lessive, bonbons, alcools), auxquels s’est ajoutée une offre large de restauration sur place avec des menus du jour et un espace petit- déjeuner. Le magasin propose également des services de proximité comme des consignes de clés pour des locations de type Airbnb, un relais colis ou une pompe à vélo en libre accès.

Avant Noé et Darwin, Franprix avait déjà connu deux liftings en 2015 et 2016 : Mandarine et Mandarine vitaminée. En trois ans, l’enseigne de coeur de ville, située principalement en Ile-de-France, est devenue le laboratoire d’innovations du groupe Casino, qui en a pris le contrôle en 2007. Les premières années, Jean- Paul Mochet et son équipe ont restructuré le parc de magasins, les systèmes d’information, la logistique. Puis, en 2015, ils se sont attaqués au positionnement de l’enseigne créée en 1958 par Jean Baud. « Le modèle économique était bon, mais le modèle commercial dé passé », pointe le patron. Des prix élevés pour une offre banale ont fait plonger le chiffre d’affaires.

C’est aussi l’arrivée annoncée d’Amazon et de Leclerc dans l’ecommerce alimentaire à Paris qui sert d’aiguillon.Face à ces puissants concurrents, Franprix peut miser sur ses atouts en jouant sur la proximité au service d’une clientèle urbaine plutôt aisée mais exigeante. Le magasin devient un lieu de vie où l’on vient prendre un petit-déjeuner avec jus d’orange pressé, travailler sur une table haute en grignotant, ou acheter un poulet rôti pour son dîner.

Plus de qualité

Quatre chantiers sont lancés. Tout d’abord, la formation du personnel en point de vente est revue, en insistant désormais autant sur le savoirêtre que le savoir-faire. Des centres d’apprentissage sont créés dans l’Hexagone, ainsi qu’un Acadibus, qui récupère les collaborateurs en magasin, et les remplace par des équipes temporaires, le temps de l’enseignement.

L’offre est aussi refondue, pour devenir plus qualitative, goûteuse, saine et responsable. Les recettes des produits signés Franprix sont retravaillées. « D’ici à 2019, toute l’offre à notre marque sera propre, sans perturbateurs, en grande partie d’origine France, se réjouit Jean-Paul Mochet. Nous sommes passés du métier de distributeur à celui de sélectionneur. » Pour cela, une équipe spécifique d’acheteurs, jeunes, qui a tout pouvoir pour chercher des nouveautés, est constituée. Troisième décision : développer les services. Les supermarchés se dotent de machines à jus d’orange, rôtisseries, bars à salades, tables et chaises. Certains proposent l’encaissement mobile en rayon, d’autres sont ouverts 24 heures sur 24. L’appli Franprix, téléchargée plus de 850 000 fois en moins d’un an, permet, elle, d’être livré à domicile en 30 à 40 minutes par des coursiers qui se déplacent à pied.

Enfin, les équipes de Franprix ont noué une dizaine de partenariats avec des start-up, telles que Poulehouse qui vend « le premier oeuf qui ne tue pas la poule » grâce à un mode de production sans abattage, moyennant un prix de 1 euro pièce. « Franprix nous a repérés très tôt, salue Fabien Sauleman, l’un des cofondateurs. Nous avons été agréablement surpris : les équipes ont accepté notre surcoût sans négocier. Elles ont compris comment créer des relations avec des petits projets en s’adaptant à leur vitesse et leurs contraintes. »

Plus de ventes

Au-delà de l’objectif initial de « créer un lieu de vie », l’enseigne urbaine de Casino veut « devenir le réfrigérateur des Parisiens » en s’installant au pied de leur immeuble. Certains magasins ne sont distants que de quelques centaines de mètres comme, dans le VIIe arrondissement. « Un jour, on dressera leur table », sourit Jean-Paul Mochet, qui imagine même devenir la cuisine des Parisiens. Le concept Darwin, et son offre de restauration, représente ainsi l’aboutissement de cette « théorie de l’évolution » de la grande distribution.

Reste la pertinence économique de ces nouveaux concepts. Jean-Paul Mochet affirme que le magasin Darwin a vu son chiffre d’affaires augmenter de 23 % en un mois. Il dit avoir respecté le contrat imposé par Casino : mener cette mutation en augmentant les ventes sans rogner la rentabilité. Mais certains analystes financiers s’émeuvent que les supermarchés premium de Monoprix, très présents à Paris, ne soient cannibalisés par la montée en gamme de Franprix. Une guerre fratricide ? « Les clients font la différence, notre offre est plus resserrée et centrée sur l’immédiateté », rétorque Jean-Paul Mochet. Pourtant, un concurrent raille : « Franprix n’a pas démultiplié ses derniers concepts, donc ils n’ont pas de réalité économique. »

Plus de publicité

Certes, le distributeur a rénové 660 de ses 902 supermarchés, et augmenté ses investissements publicitaires bruts de 21 % sur un an, selon Kantar Worldpanel. Mais il a revu certains postes de dépenses, comme l’énergie. Et plusieurs dizaines de magasins, moins rentables, sont passés sous contrat de franchise. Au premier semestre 2018, la croissance organique de l’enseigne a atteint 1,4 %, pour un chiffre d’affaires annuel de 1,6 milliard d’euros. « La part de marché de Franprix est stable depuis trois ans, observe Gaëlle Le Floch, Strategic Insight director à Kantar Worldpanel. C’est une performance à saluer dans un contexte difficile. Elle s’explique par l’acquisition de nouveaux clients tandis que la fréquence d’achat tend à baisser. » Ceux-ci dépensent en moyenne 12,50 euros par visite, trois fois par semaine. Il faut maintenant leur donner envie de revenir plus souvent et dépenser plus, comme dans un endroit où l’on se sent bien.

 

Un été boursier ultrachaud pour Casino

Depuis le début de l’année, le cours de Bourse de la maison mère de Franprix a fondu de presque 50 %, tombant sous le seuil des 30 euros, à 28,30 euros. La chute s’est accélérée cet été, après l’avertissement de plusieurs analystes sur le niveau d’endettement du groupe et l’abaissement de sa note par S&P. Pour rassurer les marchés, Casino a réitéré l’engagement de réduire d’un milliard d’euros sa dette financière en 2018. A plus court terme, sa holding, Rallye, qui détient 51,1 % de Casino, doit rembourser 670 millions d’obligations en octobre. Une échéance qui sera scrutée de près. L.- E.H.

SOURCE : BOURSORAMA

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