GAFA: au secours, le capitalisme d’oligopole est de retour

La tendance est impressionnante, particulièrement aux Etats-Unis : la concentration des entreprises, le poids des plus grandes dans chaque secteur, a fortement augmenté depuis les années 1990 (voir ci-contre). Le phénomène est très marqué dans la tech, avec la domination des Gafa. Outre-Atlantique, Google et Facebook captent les deux tiers des dépenses de publicité en ligne et Amazon 75 % des ventes de livres. Et la capitalisation boursière d’Apple atteint 800 milliards d’euros, soit plus de la moitié de celle de la Bourse de Paris. Nous sommes en train de passer d’un capitalisme libéral à un capitalisme d’oligopole et de rente.

Comment expliquer cette concentration ? D’abord par la moindre vigilance des autorités de la concurrence, moins sévères avec ces nouveaux mastodontes : en Europe, Bruxelles a refusé la fusion Alstom-Siemens mais accepte que Google ait une part de marché supérieure à 90 %. Ensuite par la vague de fusions acquisitions, passée de 770 milliards de dollars en 2001 à 1 700 milliards en 2018. Là aussi, les géants de la tech ont multiplié les rachats, comme celui de WhatsApp par Facebook en 2014 pour 19 milliards de dollars. Enfin, dans certains secteurs (Internet, télécoms, santé…), on constate des rendements d’échelle croissants qui rendent plus efficaces les « superstars firms ». La barrière technologique pour percer sur un nouveau secteur est, elle, de plus en plus difficile à franchir, comme l’atteste la diminution du nombre de brevets aux Etats-Unis.

Grand pouvoir de marché

Cette concentration a donné un plus grand pouvoir de marché aux entreprises, leur permettant d’augmenter les prix : en dix ans, ils se sont envolés de plus de 40 % aux Etats-Unis, alors que le coût salarial n’a crû que de 15 %, ce qui a dopé les marges. Les inégalités de revenus se sont donc creusées entre détenteurs de capital et salariés, mais aussi entre salariés, ceux des « superstars firms » voyant leur rémunération progresser beaucoup plus vite. Sur le marché du travail, la position dominante de certaines firmes peut même susciter des ententes pour limiter les hausses de salaires.

Le paradoxe, c’est que cette évolution très inquiétante n’a pas encore produit les effets négatifs attendus. L’existence de rentes d’oligopole devrait provoquer un déficit d’investissements, les groupes ayant moins besoin d’investir pour faire face à la concurrence. Et elle devrait entraîner un affaiblissement de la demande, lié à la hausse des prix, elle aussi due à une moindre concurrence. Jusqu’alors, ce n’est pas le cas. Mais tôt ou tard, ce capitalisme de rente risque de produire ses effets négatifs.

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