Gaz GNL : le Qatar livre pour la première fois la Pologne, au grand dam de la Russie

Evénement on ne peut plus stratégique sur l’échiquier énergétique mondial : le Qatar vient de livrer pour la première fois du gaz à la Pologne, permettant ainsi à Varsovie de réduire sa dépendance en approvisionnements russes. C’est également la première fois que la Pologne est livrée en gaz en provenance du Proche Orient.

Un méthanier chargé d’une cargaison de 210.000 mètres cubes de gaz en provenance du Qatar, est ainsi arrivé vendredi au terminal gazier polonais de Swinoujscie, sur la partie ouest de la côte baltique, dont l’exploitation commerciale doit débuter à la mi-2016.

A l’occasion de la cérémonie organisée pour marquer l’événement, le vice-ministre du Trésor Henryk Baranowski a par ailleurs déclaré que dès la fin des opérations de démarrage du terminal, la Pologne pourra importer du gaz LNG (ou GNL pour Gaz Naturel Liquéfié) pratiquement de partout.

Marek Grobarczyk, ministre polonais de la Mer, a indiqué pour sa part que cette livraison constituait « une mesure de diversification et de négociation avec Gazprom », le géant gazier russe.

Marek Grobarczyk estime par ailleurs que le terminal gazier de Swinoujscie offre à la Pologne une bien meilleure position dans les négociations avec le géant gazier russe. Selon lui, il s’agit d’une diversification réelle des livraisons du gaz en Europe de l’Est et Europe Centrale. Diversification qui permet de faire marcher la concurrence et de pouvoir réellement négocier, une alternative à l’achat de gaz russe étant désormais possible.

Le terminal de Swinoujscie – d’un coût proche de 720 millions d’euros – aura une capacité initiale de transbordement de 5 milliards de m3 par an, soit un tiers du gaz consommé par la Pologne. Sa capacité pourra être portée à 7,5 milliards de m3 dans les prochaines années.

Précisons qu’à l’heure actuelle, un tiers de la consommation de gaz polonaise est couverte par les propres ressources du pays, environ 40% de ses approvisionnements étant importés de Russie et 20% d’Asie centrale.

Rappelons que c’est en juin 2009, que la Pologne a signé avec la société Qatargas un contrat d’une durée de 20 ans, qui permettra au pays de recevoir annuellement environ 1,5 milliard de m³ de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance du Qatar.

En octobre 2012, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) avait annoncé avoir accordé un prêt d’une valeur de 75 millions d’euros étalé sur 12 ans à l’opérateur de réseau gazier polonais Gaz-System, afin d’entamer la construction du terminal. Le reste du financement, d’un montant total de 660 millions d’euros, devait provenir de subventions de la Commission européenne, de la Banque européenne d’investissement et des recettes de l’entreprise.

« Avec ce projet, la Pologne pourra pour la première fois recevoir un tiers de son approvisionnement en gaz d’un autre pays que la Russie  », avait alors déclaré Ricardo Puliti, le directeur de la BERD pour l’énergie et les ressources naturelles. Ajoutant que cette modification faisait partie d’une stratégie destinée à assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique en Europe du Sud-Est. « Ce projet est d’une importance capitale, car il permettra de fournir plus de gaz aux pays voisins, à savoir la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque, ainsi qu’à « l’Europe centrale dans son ensemble », avait-il précisé.

Ces nouvelles installations sur la mer Baltique permettront en effet à la Pologne et à ses voisins dépourvus d’accès à la mer d’Europe centrale et orientale d’accéder au marché mondial du GNL. Offrant une solution alternative au gaz en provenance des gazoducs du géant gazier russe, Gazprom.

Le terminal sera fourni en gaz indexé sur le pétrole provenant du Qatar, le plus grand producteur de gaz liquéfié au monde, mais les deux tiers de sa capacité d’importation devraient être réservés au marché spot, ce qui pourrait ouvrir la voie à une énergie meilleure marché. « Le gaz livré par transport maritime par Qatargas sapera probablement les gazoducs russes et réduira leur position dominante en Pologne », avait alors affirmé M. Puliti.

« La Pologne a atteint son but stratégique, nous sommes indépendants en matière de gaz », s’est félicitée pour sa part le 21 octobre dernier la Première ministre polonaise Ewa Kopacz en inaugurant à Swinoujscie le grand terminal de gaz LNG/GNL.« La mise en exploitation du terminal de Swinoujscie réduira sensiblement le risque des pressions russes », estimait alors Wojciech Jakobik, expert polonais des questions énergétiques.

« La nouvelle entrée de gaz dans son réseau de gazoducs permettra surtout à la Pologne de choisir en toute indépendance ses fournisseurs, et de négocier librement les prix, même s’il lui faudra du temps pour rentabiliser cet investissement à long terme », avait-il ajouté.

En vue de construire son indépendance énergétique, la Pologne a fortement modernisé son réseau de transport gazier au cours des dernières années, construisant des centaines de kilomètres de gazoducs et d’importants réservoirs de gaz souterrains. Une étape décisive dans la stratégie mise en œuvre pour mettre fin à l’isolement énergétique des pays baltes dans l’UE et de leur dépendance vis-à-vis de la Russie a été franchi récemment avec la signature à Bruxelles d’un accord financier pour la construction d’un gazoduc entre la Pologne et la Lituanie, financé en partie par l’UE.  Le coût de ce gazoduc long de 534 km, qui doit pouvoir transporter 2,4 milliards de mètres cubes par an de Pologne vers la Lituanie et un milliard dans l’autre sens, se monte à558 millions d’euros, dont 300 millions déboursés par l’UE. Il doit être opérationnel dès 2020.

En avril dernier, les Premiers ministres estonien, letton et lituanien ont appelé l’UE et la Pologne à accélérer le bouclage de son budget, les Pays Baltes redoutant que le Kremlin ne cherche à déstabiliser les contrées autrefois sous la coupe de Moscou.

D’autres projets sont également en développement dans la région, comprenant le renforcement du réseau de gazoducs des pays baltes et l’interconnexion entre la Pologne et le Danemark.

Sources : AFP, EurActiv

Elisabeth Studer – 12 décembre 2015 – www.leblogfinance.com

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