Israël : appels d’offres en Méditerranée orientale, les liens se renouent avec la Turquie

Evènement majeur sur l’échiquier énergétique mondial … et la géopolitique associée : Israël vient de lancer officiellement des appels d’offres pour l’exploration de 24 champs gaziers et pétroliers en Méditerranée, une première depuis quatre ans.

Depuis plusieurs années, la Méditerranée orientale est devenue une zone d’exploration gazière très active, notamment après la découverte d’importants gisements gaziers au large d’Israël et de Chypre, l’Egypte  la Turquie, Israël, le Liban, la Syrie, comptant bien ne pas être lésé dans la bataille.

La nouvelle est d’autant plus importante qu’en octobre dernier, Israël et la Turquie ont décidé d’examiner un projet de gazoduc pour acheminer du gaz israélien vers l’Europe.

Laquelle Turquie frappe de plus belle aux portes de l’Europe … en qualifiant d’hypocrite l’attitude des Européens dans les négociations sur la candidature turque à l’Union européenne. Nous y reviendrons. Rappelons également que Chypre est coupée en deux – entre partie turque et partie chypriote – depuis plus de 40 ans.

Précisions de taille : en  décembre 2010 un accord a été signé entre Israël et Chypre en vue de faciliter et de poursuivre les recherches off-shore d’hydrocarbures – de part et d’autre – dans la partie orientale de la Méditerranée … de gigantesques réserves de gaz ayant été alors découvertes dans la zone. Selon les contrôles de la commission gouvernementale israélienne mise alors en place pour gérer un fonds d’exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu’en 2040.

« Cette découverte fait potentiellement d’Israël un pays exportateur de gaz naturel », avait alors souligné David Stover, haut dirigeant de Noble Energy, société basé à Houston, Texas, alors principal opérateur du site. Le ministre israélien des Infrastructures nationales Uzi Landau avait affirmé parallèlement qu’ Israël pourrait devenir un exportateur de gaz … vers l’Europe … au grand dam de la Russie.  « Nous sommes d’ailleurs prêts à collaborer à un tel projet avec des investisseurs étrangers, mais aussi avec la Grèce  et Chypre » , avait-t-il même précisé.

« Nous offrons pour l’exploration la moitié de notre zone maritime économique divisée en 24 blocs », a donc annoncé cette semaine le ministre de l’Energie Youval Steinitz, précisant que les appels d’offres seront clos le 21 avril.  Chaque bloc de forage offshore est doté d’une superficie de de 400 km2. Le ministre a par ailleurs ajouté que, selon les estimations, la plus grande partie du gaz naturel de la zone maritime économique était encore à découvrir, soulignant que le Département américain de l’Energie partageait cette opinion.

Le gouvernement israélien espère que les nouveaux blocs permettront la découverte de réserves comparables à celles des gisements de Tamar et Leviathan, lesquels ont ouvert l’espoir ces dernières années pour Isarel d’atteindre l’indépendance énergétique voire même d’exporter du gaz vers l’Europe tout en établissant de nouveaux liens stratégiques dans la région. Selon le ministère israélien, l’étude réalisée par la firme française Beicip Franlab fait état d’un potentiel dans les nouveaux sites d’environ 6,6 millions de barils de brut et de 2.137 milliards de m3 de gaz.

– Israël veut multiplier ses débouchés … et les options de transport

En septembre 2016, la Jordanie a signé un premier accord d’achat de gaz du gisement de Leviathan portant sur 8,4 millions de m3 de gaz par jour sur une période de 15 ans, avec une option de 1,4 million de m3 supplémentaires.

Ces derniers jours, Youval Steinitz a quant à lui fait état de contacts avec l’Egypte sur un potentiel accord de vente. Il a par ailleurs souligné que la possibilité d’un accord pour fournir du gaz à la Turquie avait également contribué à la réconciliation entre les deux pays en juin dernier, mêmes si des tensions persistent. « Nous avons décidé de faire avancer le projet de gazoduc pour l’exportation d’Israël vers la Turquie en vue notamment d’exporter vers l’Europe », a ainsi ajouté M. Steinitz.

Le ministre israélien de l’Energie a également expliqué que sa stratégie était de multiplier les options.
« Je veux plus qu’une seule option d’exportation. Je veux que nous ayons au moins deux ou peut-être trois gazoducs qui nous permettront d’exporter pas seulement vers cette région mais aussi vers l’Europe », a-t-il déclaré.

– Partenariats controversés avec les Etats-Unis via Noble Energy – 

Pour rappel, le champ gazier de Tamar, découvert en 2009 et dont la production a débuté en 2013, dispose de réserves de 238 milliards de m3. Leviathan, découvert en 2010 et dont la production doit commencer en 2019, dispose quant à lui de réserves de 535 milliards de m3 de gaz et de 34,1 millions de barils de condensat. Les licences d’exploitation concernant ces deux champs sont détenues par un consortium dirigé par le groupe américain Noble Energy et un partenaire israélien Delek.

A la suite d‘un appel de la Cour suprême israélienne, Noble Energy a accepté de réduire sa part dans Tamar de 36% à 25% pour ne plus être un important actionnaire. Delek pour sa part s’est engagé à céder la totalité de sa part dans Tamar qui s’élève à 31%. Les deux groupes ont en revanche pu conserver leurs parts respectives dans Leviathan.  Les compagnies étaient parallèlement soupçonnées de vouloir abuser de leur situation de monopole pour dicter les prix du gaz provenant des réserves israéliennes et influer sur le développement futur de ces réserves.

Le ministère de l’Energie a précisé cette semaine que le consortium Noble-Delek ne serait pas autorisé à prendre part aux nouveaux appels d’offres ou de prendre des licences pour d’autres champs gaziers plus petits, dont les réserves dépassent les 200 milliards de m3. Les candidats devront verser 50.000 dollars d’honoraires et 70.000 dollars pour participer aux appels d’offres tout en disposant d’actifs d’au moins 400 millions de dollars et de 100 millions de dollars de fonds propres.

–  Israël renoue ses liens avec la Turquie … le gazoduc commun en ligne de mire  – 

Signe des temps … et de l’importance de l’enjeu, parallèlement à cette annonce, Israël  a nommé mardi un nouvel ambassadeur en Turquie, le premier depuis 2010, normalisant ainsi les relations entre les deux pays après six années de brouille diplomatique. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Emmanuel Nahshon a ainsi déclaré que Eitan Naeh avait été nommé par un comité gouvernemental.

Actuel chef de mission adjoint à l’ambassade à Londres, il deviendra le premier ambassadeur d’Israël à Ankara depuis la crise du Mavi Marmara en 2010, lorsque les forces spéciales israéliennes avaient pris d’assaut un bateau qui se dirigeait vers Gaza, provoquant la mort de dix militants turcs qui se trouvaient à bord.

En juin dernier, les deux parties ont accepté de mettre un terme à leur différend après avoir mené des discussions secrètes dans plusieurs pays tiers.

Au terme de l’accord, Israël a accepté de verser 20 millions de dollars de compensation, à présenter ses excuses pour le raid tout en autorisant l’aide turque de parvenir à Gaza via le port israélien d’Ashdod. Cette normalisation a été vivement encouragé par les Etats-Unis, gaz et pétrole « obligent »  ….

– Quand la Turquie s’opposait à Chypre sur l‘épineux dossier du gaz de Leviathan –

Rappelons à toutes fins utiles qu’en septembre 2010, le Premier ministre turc déclarait à Al Jazzera, que la Turquie ne laisserait pas Israël jouir seule du gaz exploité dans les eaux chypriotes. Ce dernier jugeant « provocatrice » l’exploration au voisinage du gisement très prometteur de Léviathan.

Parallèlement le Premier ministre Recep Erdogan menaçait d’envoyer sa flotte au voisinage du site aux frontières controversées, annonçant qu’il pourrait fournir une escorte navale à ses propres bâtiments d’exploration en Méditerranée chargés d’effectuer des forages sur des gisements d’hydrocarbures au large de la côte nord de Chypre.
Quelques jours auparavant, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre turc avait réitéré l’opposition de son pays aux zones économiques exclusives fixées en 2010 dans le cadre d’un accord entre Chypre et Israël.
«Nous avons des approches différentes en matière de zones économiques exclusives dans la région telles qu’elles ont été annoncées. Sur ce point, et s’agissant de l’armée, nous surveillerons cette région avec l’aide d’avions, de frégates et de vedettes lance-torpilles» avait-il prévenu.

Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, réagissait ainsi aux propos du président chypriote Demetris Christofias, lequel venait d’annoncer que les forages débuteraient prochainement au large des côtes sud-est de Chypre.
Le gouvernement chypriote grec, seul à ce jour à être reconnu par la communauté internationale, avait alors débuté des travaux d’exploration sur le fabuleux gisement de Leviathan, situé au large de Chypre, avec la compagnie – américaine – Noble Energy, et ce, dans le cadre d’un accord avec Israël. Rappelons à cet égard que la partie turque, située dans le nord de l’île est uniquement reconnue par Ankara.

La Turquie avait également exhorté le gouvernement chypriote grec à cesser immédiatement ses explorations de gaz et prévenu que ses propres navires d’exploration en Méditerranée pourraient être accompagnés d’escortes militaires.
» La compagnie pétrolière turque TPAO va se déployer dans les eaux au nord de Chypre en raison d’un accord entre Ankara et la partie pro-turque de Chypre sur le tracé des frontières maritimes » avait parallèlement déclaré le ministre turc de l’Energie, Taner Yildiz.

Au final, Ankara demandait alors aux responsables chypriotes de favoriser la collaboration de la Turquie, dans les projets énergétiques de Chypre.

Elisabeth Studer – 19 novembre 2016 – www.leblogfinance.com

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