Kronenbourg fait mousser ses bières en France

C’est un spectacle étonnant et très rare qu’ont pu observer au mois d’août les habitants d’Obernai (Bas-Rhin). En raison de la température caniculaire, les cuves de la brasserie Kronenbourg se sont mises à produire de la mousse en quantité tellement importante qu’emportée par le vent, elle s’est échappée sur les parkings de l’usine. Rien de grave, certains plaisantins ont même proposé d’organiser une « soirée mousse ». Mais cela a rappelé à tout le monde que cette immense usine construite en 1969, plusieurs fois agrandie et produisant un tiers des bières consommées en France chaque année (7 millions d’hectolitres), reste sujette aux caprices de matières premières vivantes, à commencer par les ferments qui permettent de transformer un jus d’orge en boisson alcoolisée.

Si le procédé de fabrication reste immuable depuis la nuit des temps, en revanche les produits se sont incroyablement sophistiqués depuis quelques années, obligeant les maîtres brasseurs à compliquer leurs recettes. « A son inauguration, cette usine ne produisait que deux bières, Kronenbourg et 1664, explique Céline Chauvin, la directrice de fabrication. Aujourd’hui, ce sont plus de 50 liquides différents et huit grandes marques. » Dont Grimbergen, Skoll, Carlsberg et Tourtel. Alors qu’historiquement ces bières étaient vendues dans les bars et restaurants pour plus de 70 % et en grandes surfaces pour 30 %, aujourd’hui c’est l’inverse : les trois quarts des ventes sont faites dans la grande distribution.

7,3 millions d’hectolitres

Et ce n’est pas fini. Le groupe danois Carlsberg, propriétaire de Kronenbourg depuis 2008, investit 100 millions d’euros à Obernai afin d’y créer une ligne d’embouteillage et d’agrandir les capacités de stockage pour produire 7,3 millions d’hectolitres par an et désormais 65 bières différentes. « Nous investissons lourdement dans notre brasserie d’Obernai car le marché français de la bière est à la fois très dynamique et en train de se diversifier comme jamais », explique Joao Abecassis, le président de Kronenbourg. Il s’agit d’adapter l’outil de production à un marché qui se sophistique et innove beaucoup.

Alors que l’Hexagone comptait 23 brasseries en 1985, il y en a près de 1 700 aujourd’hui. « Il s’en crée une nouvelle chaque jour, souligne le biérologue Hervé Marziou. Les consommateurs adorent les petites marques artisanales et les goûts nouveaux. Aussi, les deux grands groupes qui dominent le marché, Heineken et Kronenbourg, ont multiplié les innovations pour ne pas être en reste. » La jeune génération est en pointe sur cette tendance. Selon cet expert, le réveil du marché date de la fin des années 1990. La France était plus passionnée par le vin que par la bière et, aujourd’hui encore, la consommation moyenne de bière des Français avec 31 litres par personne et par an, les classe à la 26e place sur 28 pays d’Europe.

Mais depuis quelques années, leur consommation s’est réveillée. Deux segments se sont particulièrement développés : les bières de spécialité et d’abbaye et les bières sans alcool. Alors que les bières de spécialité s’adressent à des amateurs adeptes de goût et d’amertume, les bières sans alcool, sous les marques Pur Malt, 1664, Grimbergen et Tourtel chez Kronenbourg, sont faites pour séduire une population jusque-là peu attirée par la mousse. « Mieux encore, avec des produits aromatisés aux fruits comme Tourtel Twist et plus récemment Tourtel Botanics, lancée cette année, qui n’est même pas une bière mais une boisson d’orge infusée aux fruits, Kronenbourg va clairement chercher des clients dans l’univers des sodas », explique Hervé Marziou.

4 % de sans alcool

Conséquence de ces innovations, les bières sans alcool représentent aujourd’hui 3 % du marché de la bière en France et 4 % des ventes de Kronenbourg. La marge de progression est encore grande si l’on compare à l’Allemagne, où ce segment pèse plus de 6 %, et à l’Espagne (15 %). Voilà pourquoi l’actionnaire Carlsberg a installé son centre mondial d’innovation à Obernai, en laissant carte blanche à ses experts pour mettre au point des produits novateurs. Seule limite à leur créativité, ils doivent être fabriqués dans une brasserie et à grande échelle.

Une chose est sûre, se réjouit Joao Abecassis, « la bière s’est déringardisée, appréciée des jeunes urbains branchés, cela ouvre de grandes perspectives pour le marché français ». Fin septembre, le groupe Carlsberg a choisi d’organiser sa journée d’information financière (Capital Markets Day) à Paris. « On a voulu mettre en valeur les grandes promesses du marché français, explique le président de Kronenbourg. Contrairement à d’autres pays européens, les ventes de bière continuent à y progresser et à se prémiumiser. C’est le résultat de nos efforts et de ceux de nos concurrents, qui comme nous ont fortement investi pour que la plus ancienne des boissons reste toujours moderne. »

L’américain Budweiser met aussi la pression
Budweiser, ou Bud pour les intimes, bière la plus vendue au monde, propriété du géant AB Inbev (50 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018) est arrivée en France au printemps avec des ambitions qui ont le don d’irriter les acteurs historiques. « Nous considérons que la France, où nous vendons déjà les marques Leffe, Stella, Jupiler Cubanista et Corona, est un marché très prometteur, explique Peter Cammaerts, président de Budweiser en Europe du Nord. Nous sommes déjà vendus dans 90 % des super et hypermarchés français, avec un taux de “réachat” très élevé et plus de 15 millions d’euros de ventes entre mars et août 2019. » Cette blonde sans aspérité, fabriquée à Louvain en Belgique, ne s’attaque pas aux niches les plus dynamiques, où se battent les microbrasseries et les bières régionales. Elle affronte les marques leaders, qui écoulent des millions d’hectolitres en grande surface : Heineken et 1664 (Kronenbourg). Signe de ces ambitions, Budweiser est devenu le premier annonceur du marché en 2019, avec une campagne publicitaire de 26 semaines. C’est le plus gros lancement depuis la renaissance de Tourtel (Kronenbourg) il y a six ans.

SP

Produits phares de Kronenbourg. L’entreprise a innové pour attirer de nouveaux publics, avec Tourtel Botanics, plus proche d’un soda, la 1664 sans alcool, Skoll, contenant de la vodka.

Marc Bertrand/Challenges

Chaîne d’embouteillage de la brasserie d’Obernai, en Alsace. Le propriétaire de Kronenbourg, le groupe danois Carlsberg, y investit 100 millions d’euros pour y produire 65 bières différentes.

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