La France, principale cible des investisseurs chinois

Cela fait plusieurs années que Qiu Yafu y pensait. Le président de Shandong Ruyi, l’un des principaux groupes de textile chinois, avait annoncé sa stratégie : racheter des marques occidentales pour ne plus rester cantonné au rôle de simple sous-traitant, et ouvrir des magasins un peu partout en Chine afin de toucher le consommateur final. Le voilà sur le point de concrétiser son projet : le 31 mars, il a annoncé le rachat à 80 % du groupe de mode parisien SMCP (marques Sandro, Maje et Claudie Pierlot), pour un prix qui le valorise à 1,3 milliard d’euros. Un rapprochement qui doit conduire au déploiement des trois enseignes dans tout le pays.

Investissements doublés

Patron milliardaire, propriétaire d’une demeure coûteuse dans la baie de Sydney, en Australie, Qiu Yafu n’est pas seul à s’intéresser au Vieux Continent. D’après une étude récente du cabinet américain Baker & McKenzie, l’Europe est devenue en 2015 la principale cible des investissements chinois, en particulier la France (voir graphique cidessous), et les montants engagés depuis le début de 2016 représentent déjà le double du total de l’an dernier. En 2015, le Club Med a été racheté par Fosun, l’aéroport de Toulouse par un consortium chinois, et Louvre Hotels par le géant du tourisme Jin Jiang. Le mouvement se poursuit. Le 30 mars, Pierre & Vacances a réalisé une augmentation de capital de près de 25 millions d’euros réservée à HNA, maison mère de Hainan Airlines. Avec 10 % du capital de l’entreprise, fondée et toujours dirigée par Gérard Brémond, HNA aura deux représentants au conseil d’administration du spécialiste des résidences de vacan ces, également propriétaire de Center Parcs.

« Le phénomène est récent et il est en accélération », souligne Emmanuel Gros, qui dirige la branche Asie de B&A Investment Bankers, une banque d’affaires spécialisée dans les fusions-acquisitions internationales, qu’il a cofondée en 2011 avec Cyrille Benoit. Installé à Shanghai depuis 2002 – il est aussi vice-président de la chambre de commerce franco-chinoise -, il témoigne de la montée en puissance de ces deals avec la Chine, désormais troisième investisseur mondial. En 2012, la « boutique » française a signé la cession du négociant bordelais Diva à Bright Food, une première à l’époque, et celle des Domaines La Cardonne-Grivière-Ramafort (Médoc) à un autre chinois, Yofoto, en décembre dernier. Elle accompagne aussi les projets du marché de Rungis en Chine, ou ceux de Joël Robuchon, qui était fin mars à Shanghai pour l’ouverture de son premier restaurant dans le pays, sur le mythique Bund.

Classe moyenne à satisfaire

« Nous avons fait le pari qu’il y aurait en Chine un “moment français” », résume Emmanuel Gros. Pour ce diplômé de l’Essec, qui parle mandarin, le « moment allemand » est un peu passé : la Chine ne veut plus être « l’atelier du monde » et achète donc moins d’équipements industriels. La croissance chinoise cherche à se réorienter vers la consommation, comme le prévoit la feuille de route du président Xi Jinping. Cible de cette transformation économique en cours : une classe moyenne qui augmente de 20 millions de personnes par an, et qui achète chaque année 21 millions de véhicules. Or cette population a envie de visiter le monde – on a dénombré l’an dernier 120 millions de touristes chinois, en hausse de 20 % -, d’acheter des vêtements de « luxe accessible » – comme ceux de SMCP -, mais aussi des produits alimentaires de qualité, surtout pour les enfants, dans un pays où les scandales alimentaires détournent ces foyers aisés des produits locaux.

A travers ces rachats, ce n’est pas seulement l’accès à certains marchés que les entreprises chinoises recherchent. Elles veulent aussi s’approprier des méthodes de management nouvelles pour elles, et la formule magique du branding, cet art du marketing des marques qui leur manque cruellement pour l’instant. « Nous devons rendre notre business plus sophistiqué », indiquait en 2015 Qiu Yafu, dans une interview au Nikkei Asian Review. Hausse des prix des matières premières, des coûts de l’électricité et des coûts salariaux (+ 9 % en 2015) : ce patron avisé sait qu’il n’a guère d’autre choix.

SOURCE : BAKER & MCKENZIEL’EUROPE, CIBLE N°1 L’Europe est la première destination des investissements chinois, devant l’Amérique du Nord (17 milliards de dollars). Leur montant total, qui s’établissait en moyenne à 8,6 milliards depuis 2008, atteignait 18 milliards en 2014. Les investissements ont plus que doublé l’an dernier en Italie et en France.

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