La loi Mobilité peut-elle sauver la « France périphérique » ?

La loi d’orientation pour la mobilité est présentée lundi par la ministre des Transports Élisabeth Borne. L’objectif du texte est de réhabiliter les « transports du quotidien » et de désenclaver la France dite « périphérique », terreau des « gilets jaunes ». Les propositions du projet de loi sont-elles à la hauteur ? Décryptage d’Yves Crozet, spécialiste des transports. 

Challenges : Comment interprétez-vous la contestation du mouvement des « Gilets jaunes » au regard des enjeux de mobilité et de transports ?

Yves Crozet : Le gouvernement se trouve aujourd’hui confronté à un « en même temps » : la grogne des élus locaux et à la rébellion des automobilistes car il a pensé la TICPE (taxe sur les produits pétroliers) comme une vache à lait fiscale (23 milliards en 2012, 33 milliards en 2018) sans acter le fait que la route est et restera le mode de transport archidominant. Or s’il apparaît aujourd’hui indispensable de faire payer l’usage de la voiture et de la route, une partie de ces recettes fiscales doivent aussi être affectées à l’entretien des infrastructures routières. C’est un point clé pour l’acceptabilité : que les payeurs soient aussi les bénéficiaires.

Comment appréciez-vous les différentes mesures de loi mobilité?

Il y a beaucoup de bonnes choses dans la loi et dont toute une partie sur les nouvelles mobilités. Tout le territoire sera désormais couvert par des « autorités organisatrices de la mobilité », communautés de communes ou régions, ayant pour mission de coordonner les modes de déplacements sur leur territoire. Cela facilitera le développement de nouvelles offres comme le co-voiturage ou l’autopartage. Avec ces nouveaux services, l’automobile, autrefois mode de transport privé pourra être peu à peu transformé en mode collectif. Face à un budget toujours plus contraint, de nouveaux acteurs privés affirment déjà qu’ils peuvent prendre partiellement en charge des services qui relevaient des missions de service public, très gourmandes en subvention.

D’un point de vue budgétaire, la priorité est donnée à l’existant et c’est positif. 2,6 milliards d’euros vont être consacrés à l’offre de trains du quotidien et 1 milliard va être investi dans les routes, sur le réseau national (1% du million de km du réseau routier français) pour le désenclavement des territoires et l’achèvement de certaines axes routiers. 

Ces financements pérennisent-ils dans le temps l’entretien et le désenclavement des routes voulus par le gouvernement ?

C’est le gros point noir de cette loi. N’oublions pas que les collectivités territoriales gèrent 98% des routes, lesquelles accueillent 60% du trafic. Or la loi ne prévoit rien sur ce point. Pour renouveler les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, il aurait fallu créer un établissement public bénéficiaire des ressources de la Vignette (NDRL : cette taxe sur les camions envisagée par le gouvernement fait l’objet d’un moratoire) et d’une partie de la TICPE. Par contrat, cet établissement reverserait une partie des sommes perçues aux collectivités territoriales aux seules fins d’entretien des réseaux routiers.

Les collectivités territoriales seront dans les années qui viennent appelées à rationaliser leurs pratiques budgétaires. Pour y parvenir, la pratique du rabot appliquée en 2014-2016 s’est traduite par d’importants effets pervers : la baisse préjudiciable des investissements. Ce qui est nécessaire est un système d’incitations qui poussent les collectivités à une meilleure gestion tout en sensibilisant les citoyens au coût social et environnemental du service comme c’est le cas aujourd’hui pour l’eau ou les ordures ménagères. Il est en effet surprenant, à l’heure de la COP 24, que des systèmes élaborés existent pour la redevance ordures ménagères (tarification au poids ou au volume) ou pour l’eau alors que rien n’est envisagé pour les transports.

Le gouvernement a finalement décidé d’exclure du projet de loi les péages urbains et se montre très prudent sur la vignette poids-lourd. Qu’en pensez-vous?

De 2004 à 2016, hors voiries routières, les dépenses des administrations publiques locales pour les transports ont progressé de 47%. Le financement local de la mobilité doit donc opérer des prélèvements accrus sur la richesse nationale. Mais les élus locaux et nationaux se révèlent pusillanimes quand il s’agit de parler un langage de vérité aux utilisateurs des routes ou des transports collectifs. Ils préfèrent annoncer la gratuité des transports en commun et créer des réglementations environnementales plutôt que d’envisager la solution de la tarification. En matière de financement, ils recourent aux recettes habituelles (Versement transport, rente autoroutière…) et à l’endettement, fut-ce en l’adossant à des taxes nouvelles sur les entreprises. Chez elles aussi le ras-le-bol fiscal existent.

Les principales mesures de la loi sur les mobilités  

Tout le territoire sera couvert par des « autorités organisatrices de la mobilité », pour coordonner les modes de déplacements sur leur territoire- Les collectivités locales pourront subventionner les offres de covoiturage pour en faire une solution de mobilité.

 – Un « forfait mobilités durables » –facultatif– d’un montant maximum de 400 euros par an (en franchise d’impôt et de cotisations sociales) sera créé pour que les employeurs puissent encourager les déplacements domicile-travail en vélo ou en covoiturage. L’Etat le mettra en place d’ici à 2020 pour ses propres agents, à hauteur de 200 euros par an.

– Le « plan vélo », présenté en septembre, est intégré dans la LOM. Il prévoit entre autres un fonds de 350 millions d’euros pour aménager des itinéraires cyclables et des mesures contre le vol.

– Pour favoriser les voitures électriques, la LOM rendra obligatoire le pré-équipement de bornes de recharge électrique dans tous les parkings de plus de 10 places des bâtiments neufs ou rénovés, et l’équipement de tous les parkings de plus de 20 places des bâtiments non résidentiels d’ici à 2025. 

– Les agglomérations de plus de 100.000 habitants pourront mettre en place des « zones à faible émission » (ZFE) interdisant la circulation de certains véhicules polluants dans certaines zones et à certaines heures, selon des modalités de leur choix. Quinze métropoles se sont déjà montrées intéressées.

– La priorité en matière d’infrastructures est donnée aux transports du quotidien et à l’entretien des réseaux existants, tant ferroviaire que routier. Un effort particulier est mis sur le désenclavement des territoires, avec une enveloppe d’un milliard d’euros pour achever certaines axes routiers. L’Etat entend aussi agir sur la désaturation des grands noeuds ferroviaires et aider les transports en commun. Les grands projets, en revanche, sont réduits à la portion congrue.

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