« La nomination de Mogherini est un mauvais choix pour l’Europe »

Vous désapprouvez le mode de désignation du successeur de Catherine Ashton, pourquoi ?

Cette décision de politique étrangère, lourde de conséquences, a été prise sur la base de critères qui n’ont rien à voir avec la politique étrangère. Elle repose sur une répartition des postes de haut niveau entre les grandes capitales. Il y avait une pression pour nommer un socialiste, parce que les dirigeants socialistes européens veulent aider Matteo Renzi. Et il y y avait une pression pour nommer une femme, parce que les dirigeants de l’UE n’ont pas réussi à désigner des femmes pour d’autres postes de haut rang ou même, d’ailleurs, pour le reste de la Commission. Angela Merkel avait des inquiétudes, mais elle a apparemment finalement été disposée à passer outre, pourvu que l’Italie accepte de rester dans les clous des règles budgétaires de l’UE. D’autres pays ont mené des tractations pour servir leurs propres intérêts. Bref, il en résulte que la politique étrangère a été presque totalement absente de la discussion !

Qui auriez vous choisi ?

D’autres sont mieux qualifiés, notamment face au défi russe : Carl Bildt, ministre des Affaires étrangères de la Suède, est un excellent exemple, tout comme le ministre polonais des Affaires étrangères Radek Sikorski. Ou la Bulgare Kristalina Georgieva actuellement commissaire européen aux questions humanitaires, qui aurait été un bon candidat de compromis.

Vous estimez que le choix de la ministre italienne est un mauvais choix pour l’Europe, pourquoi ?

En temps normal, ce choix aurait été un peu indécent –notamment du fait de son manque d’expérience et de son jeune âge-, mais pas scandaleux. Mais nous ne sommes pas dans des circonstances normales. On l’oublie facilement à Rome et ou à Paris, mais la Russie est une menace réelle pour certains membres de l’UE – la Lettonie, l’Estonie et peut-être même la Lituanie. Ces Etats ont demandé davantage de soutien et l’aide de leurs alliés de l’OTAN et d’autres membres de l’UE. Ils sont profondément préoccupés par la nomination de Mogherini. L’Italie a des liens économiques forts avec la Russie et s’est souvent opposée à des sanctions plus sévères. La visite de Mogherini à Moscou au début de cette année et sa volonté affichée de respecter les intérêts russes ont beaucoup préoccupé. La présidente lituanienne Dalia Grybauskait? faisait clairement référence à Mogherini, lorsqu’elle a déclaré que l’UE ne doit pas choisir quelqu’un qui est « pro-Kremlin » – la charge est peut-être exagérée, mais elle indique l’inquiétude que sa nomination suscite.

Vous dites carrément que vous êtes inquiet…

Bien sûr, l’Europe est face à une menace sur sa sécurité, la plus forte à laquelle elle a dû faire face au cours des deux dernières décennies. Deux cent douze citoyens de l’UE ont été tués par un missile russe tiré par des séparatistes soutenus par la Russie en juillet. Des milliers de personnes sont mortes en Ukraine à la suite de la guerre commencée par la Russie. Et au cours des dernières semaines, les forces russes ont commencé une invasion formelle de l’Ukraine. Il est ahurissant que les dirigeants européens aient nommé, non pas quelqu’un de chevronné dans la compréhension des défis qu’impose la Russie, mais une personne qui a toujours sous-estimé le risque. C’est comme si un écolo-sceptique issu de l’industrie du pétrole était nommé ministre de l’Environnement !

Mme Mogherini aura-t-elle tant de pouvoir que cela ?

Il est vrai, bien sûr, que le chef de la politique étrangère ne fait pas la politique de l’UE. Cela continuera d’être la prérogative des États membres, en particulier de l’Allemagne. Mais cette nomination peut faire du mal. Alors qu’il est souhaitable que la Haute représentante soit le porte voix puissant des valeurs de l’Europe et de ses intérêts dans un continent pacifique et libre.

Comment réagissez vous à la nomination, samedi 30 aout, du Polonais Donald Tusk comme président du Conseil européen ?

C’est clairement un contrepoids à Mogherini. Il est là pour rassurer l’Europe de l’Est, dire à ses dirigeants que leur voix sera entendue dans les efforts que déploie l’Europe pour résoudre la crise ukrainienne


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