La Pologne s’attaque à la suprématie gazière de la Russie

Bouleversement au niveau géopolitique et énergétique à prévoir … la Pologne venant de voir  le premier navire méthanier arriver vendredi à son tout nouveau terminal LNG. Joli pied de nez au géant gazier russe Gazprom, le pays tentant de s’affranchir de la suprématie russe dans le but de devenir un important acteur régional en matière de gaz.

Le méthanier Al-Nuaman, Affrété par Qatargas, a ainsi apporté dans ses réservoirs 206.000 m3 de LNG, dans le cadre du premier chargement commercial arrivé à Swinoujscie et destiné au gazier polonais PGNiG.

« Pour la Pologne, c’est être ou ne pas être inondée par le gaz russe », a déclaré à cette occasion Jacek Cwiek-Karpowicz, expert en énergie de l’Institut polonais des affaires étrangères PISM. Ajoutant qu’il s’agissait aussi de montrer que des alternatives étaient disponibles. Selon lui, la Pologne aurait ainsi une chance de devenir à terme la porte de l’Europe centrale pour le gaz.

Précisons que le terminal de Swinoujscie figure parmi le mécanisme énergétique mis en place par Varsovie pour s’affranchir des livraisons russes, via les projets « Porte du nord » et « Couloir du nord. » Il constitue l’élément le plus important dans l’infrastructure gazière de la Pologne qui soit libre de toute interférence russe. Selon un rapport du centre d’études et d’analyses américain CEPA, une telle structure change la donne énergétique dans la région.

D’un coût de construction de 720 millions d’euros, le terminal aura une capacité annuelle initiale de transbordement de 5 milliards de m3, qui pourra être portée ensuite à 7,5 milliards de m3, soit la moitié du gaz consommé par la Pologne. Rappelons qu’à l’heure actuelle, un tiers du gaz consommé en Pologne provient de ses propres ressources, environ 40% est importé de Russie et 20% d’Asie.

En vue de construire de son indépendance énergétique, le pays a fortement modernisé son système gazier ces dernières années, construisant des centaines de kilomètres de gazoducs et d’importants réservoirs souterrains, ainsi que des interconnexions avec les pays voisins. Le gouvernement envisage également de construire un deuxième terminal LNG, flottant, près de Gdansk, comparable à celui qui fonctionne en Lituanie. La construction d’un gazoduc, Baltic Pipe, reliant la Pologne au Danemark, qui lui permettrait de recevoir du gaz norvégien est également à l’étude. Varsovie et Copenhague ont annoncé la relance de ce projet en avril dernier. A terme, la Pologne veut importer jusqu’à 18 milliards de m3 de gaz par la Porte du nord, en réexportant la moitié vers d’autres pays d’Europe centrale.

Fin mai, Piotr Naimski, le responsable gouvernemental aux infrastructures énergétiques polonais a déclaré que la Pologne ne devrait pas prolonger le contrat gazier à long terme dénommé « Iamal » après 2022. « Nous allons chercher d’autres solutions et contrats, » a-t-il ajouté, rappelant que le prix que la Pologne payait pour le gaz russe était le plus élevé en Europe.

Des propos qui ont provoqué le mépris du président russe, Vladimir Poutine.  Lequel a estimé que de toute manière le gaz du gisement russe qui a donné nom au contrat trouverait un acquéreur. « Si on n’en trouve pas en Europe on cherchera sur d’autres marchés », a-t-il déclaré. Laissant également entendre qu’il n’était pas duper et que le discours de la Pologne était avant tout destiné à obtenir un rabais sur les prix et un alignement par rapport aux tarifs pratiqués envers les autres payse.

En décembre 2015, à l’occasion de l’inauguration du terminal, Marek Grobarczyk, ministre polonais de la Mer, avait indiqué pour sa part que cette livraison constituait « une mesure de diversification et de négociation avec Gazprom ». Marek Grobarczyk estimait alors par ailleurs que le terminal gazier de Swinoujscie offre à la Pologne une bien meilleure position dans les négociations avec le géant gazier russe. Selon lui, il s’agit d’une diversification réelle des livraisons du gaz en Europe de l’Est et Europe Centrale. Diversification qui permet de faire marcher la concurrence et de pouvoir réellement négocier, une alternative à l’achat de gaz russe étant désormais possible.

Rappelons que c’est en juin 2009, que la Pologne a signé avec la société Qatargas un contrat d’une durée de 20 ans, qui permettra au pays de recevoir annuellement environ 1,5 milliard de m³ de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance du Qatar. En octobre 2012, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) avait annoncé avoir accordé un prêt d’une valeur de 75 millions d’euros étalé sur 12 ans à l’opérateur de réseau gazier polonais Gaz-System, afin d’entamer la construction du terminal. Le reste du financement, d’un montant total de 660 millions d’euros, devait provenir de subventions de la Commission européenne, de la Banque européenne d’investissement et des recettes de l’entreprise.

« Avec ce projet, la Pologne pourra pour la première fois recevoir un tiers de son approvisionnement en gaz d’un autre pays que la Russie  », avait alors déclaré Ricardo Puliti, le directeur de la BERD pour l’énergie et les ressources naturelles. Ajoutant que cette modification faisait partie d’une stratégie destinée à assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique en Europe du Sud-Est. « Ce projet est d’une importance capitale, car il permettra de fournir plus de gaz aux pays voisins, à savoir la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque, ainsi qu’à « l’Europe centrale dans son ensemble », avait-il précisé.

Ces nouvelles installations sur la mer Baltique permettront en effet à la Pologne et à ses voisins dépourvus d’accès à la mer d’Europe centrale et orientale d’accéder au marché mondial du GNL. Offrant une solution alternative au gaz en provenance des gazoducs du géant gazier russe, Gazprom.

Le terminal sera fourni en gaz indexé sur le pétrole provenant du Qatar, le plus grand producteur de gaz liquéfié au monde, mais les deux tiers de sa capacité d’importation devraient être réservés au marché spot, ce qui pourrait ouvrir la voie à une énergie meilleure marché. « Le gaz livré par transport maritime par Qatargas sapera probablement les gazoducs russes et réduira leur position dominante en Pologne », avait alors affirmé M. Puliti.

La Russie devrait donc avoir du souci à se faire si elle souhaite maintenir sa domination sur l’approvisionnement énergétique et le transit gazier dans la région. Ainsi, si à l’heure actuelle, la Slovaquie, la République tchèque et la Hongrie ne disposent d’aucune alternative à Gazprom, Prague a d’ores et déjà exprimé son intérêt pour les futures livraisons via la Pologne.

Mercredi dernier, l’Ukraine a annoncé la construction, dès 2017, d’un gazoduc la reliant à la Pologne. Doté d’une capacité initiale de 5 milliards de m3, cette dernière pourrait être portée à terme à 8 mds m3.

Une étape décisive dans la stratégie mise en œuvre pour mettre fin à l’isolement énergétique des pays baltes dans l’UE et de leur dépendance vis-à-vis de la Russie a été franchi en 2015 avec la signature à Bruxelles d’un accord financier pour la construction d’un gazoduc entre la Pologne et la Lituanie, financé en partie par l’UE.  Le coût de ce gazoduc long de 534 km, qui doit pouvoir transporter 2,4 milliards de mètres cubes par an de Pologne vers la Lituanie et un milliard dans l’autre sens, se monte à 558 millions d’euros, dont 300 millions déboursés par l’UE. Il doit être opérationnel dès 2020.

En avril 2015, les Premiers ministres estonien, letton et lituanien ont appelé l’UE et la Pologne à accélérer le bouclage de son budget, les Pays Baltes redoutant que le Kremlin ne cherche à déstabiliser les contrées autrefois sous la coupe de Moscou.

D’autres projets sont également en développement dans la région, comprenant le renforcement du réseau de gazoducs des pays baltes et l’interconnexion entre la Pologne et le Danemark.

Sources : Sources : AFP, EurActiv

Elisabeth Studer – 19 juin 2016 – www.leblogfinance.com

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