La Roche-Posay éclate de santé au sein de L’Oréal

Branle-bas de combat à La Roche-Posay ! Le 18 mars, en pleine pandémie du Covid-19, c’est cette marque et ses usines, partout dans le monde, que L’Oréal a choisie pour fabriquer et fournir en gel hydro­alcoolique les autorités sanitaires : hôpitaux, Ehpad… L’entreprise de dermocosmétique produit aussi des flacons à destination du grand public, à un prix accessible (2,25 euros l’unité). « Nous avons réussi à nous mobiliser très vite, raconte Laetitia Toupet, directrice générale de La Roche-Posay International. Une réactivité due aux équipes, mais aussi au fait que La Roche-Posay est depuis toujours partenaire du milieu médical, notamment des hôpitaux. Une telle action est dans notre ADN. »

De toute la galaxie L’Oréal, La Roche-Posay est de fait sa marque la plus « médicalisée « – y compris au sein de la division cosmétique active, à laquelle elle appartient (Vichy, SkinCeuticals, Sanoflore…). Un positionnement que le groupe n’a cessé de renforcer depuis le rachat en 1989. Le laboratoire réalisait alors une quinzaine de millions d’euros de chiffre d’affai­res. Bonne pioche : l’an dernier, il a intégré le club des marques milliardaires du numéro un mondial des cosmétiques, au côté de L’Oréal Paris, Lancôme ou Kiehl’s… La Roche-Posay dit être aujourd’hui le premier label mondial de dermo­cosmétique, devant Avène (Pierre Fabre), Eucerin ou Neutrogena. Difficile à confirmer, vu l’opacité des données chez tous ces acteurs.

« Or bleu  » historique

Joli parcours pour une affaire créée en 1974 par René Levayer, pharmacien de son état, avec moins d’une demi-douzaine de produits, dont une pâte à l’eau pour l’érythème fessier des bébés. Au départ, une source – rachetée en 2004 par L’Oréal –, « l’or bleu » comme on la nomme à La Roche-Posay, où les habitants viennent encore remplir leurs bidons d’eau à la fontaine du centre-ville. L’eau de cette commune du Poitou est riche en minéraux aux propriétés bénéfiques pour la peau : le sélénium, antioxydant et anti-inflammatoire, la silice et le calcium, apaisants et cicatrisants…

La légende dit que cette potion magique fut découverte au xvie siècle, lorsque l’étalon d’un chevalier d’Henri IV, rongé par l’eczéma, tomba dans une mare du village et vit son mal guérir aussitôt. Plus tard, Napoléon Ier y construira un baraquement pour ses soldats blessés durant les campagnes. La cure de La Roche-Posay, dont les bâtisses semblent tout droit sorties de Mont-Oriol de Maupassant, récit autour d’une ville thermale, a ouvert en 1905. Elle se consacre aux pathologies de la peau : psoriasis, eczéma, grands brûlés… ou encore les soins post-cancer. Longtemps propriété d’une famille, elle a également été rachetée fin 2018 par L’Oréal. De quoi renforcer encore l’ADN médicale de la marque : « On revient aux fondamentaux, puisque toutes les cures passent par une prescription médicale et sont prises en charge », dit Olivier Maschi, directeur du développement du centre thermal.

Codes de la big pharma

Laetitia Toupet l’assure : « Nous sommes la seule marque recommandée par 90 000 dermatologues dans le monde. » Pour décrocher cette caution médicale, la marque a adopté très tôt les codes de la big pharma. Un domaine qui n’est pas totalement inconnu de L’Oréal, longtemps maison mère de Synthélabo, jusqu’à sa fusion en 1999 avec Sanofi. Exemples : le code couleurs du packaging, bleu et blanc aseptisés, synonyme de soin, d’apaisement et de sérieux ; et le circuit de vente, uniquement en pharmacies et parapharmacies. Le laboratoire déploie aussi un réseau de visiteurs médicaux qui sillonnent les cabinets et les hôpitaux, armés d’échantillons. Les pharmacies, elles, sont savamment loties en PLV (publicités sur le lieu de vente), doses de test et même formations. »Face au consommateur en quête de soins – et non de cosmétique –, pouvoir s’informer et tester est un vrai atout. La Roche-Posay est certainement la marque la plus offensive en la matière », juge un pharmacien parisien.

De la big pharma, le laboratoire a surtout retenu la puissance de feu de la recherche. Voilà plus de dix ans qu’elle multiplie études cliniques et épidémiologiques. Pas inutile à l’ère du consommateur averti et de Yuka, gendarme mobile et chantre du safe… Ainsi, Lipikar (peaux sèches et atopiques), devenu blockbuster – un flacon vendu toutes les 6 secondes dans le monde. Le dernier-né de la famille, Lipikar AP + M, est le fruit de travaux inédits sur le microbiome cutané, la flore microbienne de la peau. Il contient un nouvel actif naturel, le microrésyl, et l’aqua posae filiformis, actif issu d’une bactérie cultivée dans l’eau thermale de La Roche-Posay. « Une découverte issue de recherches communes avec Biotherm [autre marque de L’Oréal], que nous avons su cultiver à l’échelle industrielle », dit Richard Martin, microbiologiste. La mise au point de l’aqua posae représente 3 milliards de dollars d’investissements pour L’Oréal sur cinq ans (2019-2024). Le Lipikar AP + M a fait l’objet de 32 études cliniques sur plus de 14 000 patients et de neuf publications scientifiques.

« Apple de la peau »

Tactique payante. Partie à la conquête du monde, La Roche-Posay a réalisé en 2019 plus de la moitié de ses ventes à l’international, dont une belle part en ligne, creusant le sillon digital. « Nous voulons être l’Apple de la peau, à la pointe de la science et de l’innovation », martèle Laetitia Toupet. A la demande du géant américain, elle a conçu en 2018 My Skin Track UV, un capteur qui mesure l’exposition au soleil, à la pollution et au pollen, vendu exclusivement par Apple. Elle a aussi lancé Spotscan, appli pour les peaux acnéiques, destinée aux médecins et patients. Ou encore les Dermclass, suivies par des dizai­nes de millions d’adeptes sur les réseaux sociaux. La Roche-Posay vient même de lancer sur Instagram du coaching en mode survie sur le confinement, avec une flopée d’experts (professeur de yoga, kinésithérapeute, pédiatre, nutritionniste…). De quoi adoucir l’épreuve, et conforter son capital sympathie, en attendant le bon de sortie.

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