La vérité sur… la privatisation de l’aéroport de Toulouse

Les sourires sur la photo de juin 2017 immortalisant les travaux de modernisation de l’aéroport de Toulouse- Blagnac ont singulièrement pâli. Trois ans après la vente de 49,99% du capital à un consortium de Chinois de Hong-kong et de la province du Shandong, le torchon brûle au sein de la gouvernance du troisième aéroport régional français. L’été dernier, Jean-Michel Vernhes, le président du directoire de la plateforme, a appris qu’on lui cherchait un successeur alors qu’il avait été renouvelé à son poste trois mois auparavant. Anne-Marie Idrac, qui préside le conseil de surveillance, annonce de son côté qu’elle ne demandera pas un nouveau mandat lors de l’assemblée générale, en mai prochain. Officiellement parce qu’elle a été appelée par son ami Jean-Marc Janaillac au conseil d’administration d’Air France-KLM. « Elle n’en pouvait plus de gérer les bisbilles entre actionnaires », confie un de ses proches.

Elus inquiets

Quant aux élus locaux, les présidents de la région, de la métropole, du département et de la chambre de commerce qui disposent de la majorité du capital avec l’Etat, ils ont écrit au Premier ministre le 15 décembre pour l’exhorter à ne pas céder le contrôle de l’aéroport aux Chinois. Ils les accusent de ne s’intéresser qu’à leur retour sur investissement et d’exiger des objectifs de rentabilité complètement démesurés. Ambiance.

« Ce n’est pas très surprenant, ironise cet ex-candidat à la privatisation partielle. Casil Europe (le consortium chinois formé par le fonds Friedmann Pacific AM et l’entreprise d’Etat Shandong Hi-Speed Group) l’a emporté en faisant une offre supérieure de 20%, à 308 millions d’euros, à celle des concurrents en lice [notamment Vinci et Groupe ADP]. L’écart était énorme. Il était évident qu’ils allaient mettre la pression après cela. »

Gouvernance explosive

A l’époque, l’opération, lancée par le ministre de l’Economie Arnaud Montebourg, puis signée par son successeur Emmanuel Macron, avait suscité la polémique. Parmi les critiques, le fait que les vainqueurs n’avaient jamais exploité d’aéroport. « Surtout, ils promettaient monts et merveilles, se souvient ce membre du comité d’entreprise. Toulouse allait devenir un hub international avec 20 millions de passagers dans trente ans [contre 7 millions en 2015] grâce à l’arrivée des compagnies aériennes chinoises. » Or, trois ans plus tard, point d’invasion chinoise sur le tarmac. Ce sont surtout les compagnies low cost, Ryanair en tête, qui dopent le trafic. Lors des voeux à la presse organisés le 15 janvier dans le restaurant de l’aéroport, Jean-Michel Vernhes ne cache d’ailleurs pas sa satisfaction. « Les résultats sont là : une croissance de 14,6%, plus de 9 millions de passagers. Nous pouvons être fiers du travail accompli », assure le patron sur le départ. « C’est tout le paradoxe, pointe-t-on du côté des actionnaires français. Les résultats sont excellents, l’aéroport est en pleine mutation avec de gros travaux d’agrandissement et de lourds investissements en cours (160 millions d’euros d’ici à 2021), mais les problèmes de gouvernance occultent tout. Ils s’y sont pris comme les Pieds nickelés ! »

Le mélange entre l’empire du Milieu, les salariés et les élus du Sud- Ouest promettait d’être explosif. Aux problèmes de compréhension entre actionnaires – « communiquer avec le Shandong via Skype avec un interprète, car certains ne parlent pas anglais, n’est pas simple, grince ce membre du conseil de surveillance – s’est ajoutée une série de couacs malencontreux. D’abord, la disparition surprise, quelques mois après la privatisation, du milliardaire Mike Poon, le président de Casil Europe, a semé le trouble à Toulouse. Autant qu’à Paris : « C’est remonté directement à l’Elysée, se souvient un consultant. C’était compliqué de dire à l’opinion publique que Poon faisait un break parce que le gouvernement chinois vérifiait que ses affaires ne trempaient pas dans des histoires de corruption ! »

Quelques mois plus tard, au printemps 2016, les nouveaux actionnaires réclament 40 millions d’euros de dividendes exceptionnels et veulent puiser dans les 70 millions de réserves disponibles de l’aéroport. « Ils veulent vider les caisses », hurlent alors les élus locaux, exigeant une suspension de l’assemblée générale. Un compromis sera trouvé à 15 millions d’euros. Mais le mal est fait. « Depuis deux ans, seule la logique mercantile l’emporte sur l’intérêt général du territoire », martèle Georges Méric, le président PS du conseil départemental de la Haute-Garonne. Ils étaient venus voir la collectivité locale en promettant d’investir dans le métro pour rallier l’aéroport, mais aussi dans le projet du Parc des expositions, on attend toujours ! »

Le contrôle contre des A 320

Sorti de l’ombre et de passage à Paris à la mi-janvier, Mike Poon reconnaît que « la communication n’a pas été optimale ». L’homme d’affaires rejette en revanche les accusations d’une trop grande pression financière : « L’aéroport de Toulouse représente actuellement moins de 1% de rendement pour Casil Europe. Il existe toujours une énorme différence par rapport à ce qui serait un retour sur investissement équilibré, plutôt autour de 3% à 5%. » C’est ce qui a justifié, selon le milliardaire, le nouvel octroi de 7,8 millions d’euros de dividendes en 2017, dont 1,5 million puisé dans les réserves.

Désormais, tous les regards se tournent vers le gouvernement. L’Etat dispose à partir du 18 avril d’une fenêtre de six mois, renouvelable une fois, pour vendre ou non aux Chinois sa part de 10,1 %. Difficile de dire quel sera son choix, alors qu’il doit aussi régler la question de la privatisation des aéroports parisiens (lire encadré), sans parler de Nantes. Les élus toulousains craignent qu’Emmanuel Macron, récemment en visite officielle à Pékin, ne cède le contrôle aux investisseurs chinois. D’autant que Mike Poon, également à la tête d’une société de location d’avions, Calc, vient de signer un chèque de 5 milliards pour l’achat de 50 A 320neo à Airbus… « Le gouvernement peut très bien renoncer à son option de vente, affirme Georges Méric. Nous serions prêts à racheter les parts pour 60 millions d’euros. » Encore faudra-t-il convaincre les autres actionnaires d’un tel prix.

Plusieurs pistes pour la privatisation de Groupe ADP
Actionnaire à 50,6% de Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), l’Etat veut s’alléger. Parmi les options : un accord de coopération avec un acquéreur désigné. En l’occurrence Vinci, qui détient déjà 8% du capital. Début janvier, son PDG, Xavier Huillard, a redit qu’il visait « la majorité » du capital. Autre scénario : séparer la gestion et le foncier. Restent ceux qui défendent la présence de l’Etat au capital. Comme Jean-Marc Janaillac (Air France-KLM) : « Un acteur privé pourrait négliger l’essor de l’aéroport au bénéfice d’intérêts plus rémunérateurs. »
Quel que soit le schéma retenu, il faudra passer par un projet de loi pour permettre à l’Etat de descendre sous les 50 %. Augustin de Romanet, le PDG de Groupe ADP, a d’ores et déjà mandaté BNP Paribas et Goldman Sachs pour travailler sur une opération dont il se garde bien de parler publiquement.

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