L'alliance Carrefour-Tesco révèle un changement d'ère

Les épiciers n’ont plus peur de prendre l’avion. L’annonce ce lundi 2 juillet d’un partenariat entre le Français Carrefour et le Britannique Tesco prouve que la grande distribution est bel et bien en train de changer d’ère. Et que désormais, ses patrons ont toujours leur passeport en poche et leur valise à la main. De 2014 à 2017, on avait vu se nouer des accords à l’achat franco-français, entre Auchan et Système U, Casino et Intermarché, et Carrefour et Cora. Certes, 2018 a prouvé que les mariages nationaux ont toujours le vent en poupe. On a ainsi vu les alliances existantes se défaire, pour donner lieu à de nouvelles unions entre Auchan et Casino, alliés aussi à Metro et Schiever, d’un côté, et Système U et Carrefour, associé à Cora, de l’autre.

Un élément déclencheur

Mais dans le même temps, les acteurs de la distribution ont compris que l’enjeu se situait hors des petites frontières de l’Hexagone. De l’avis de tous les connaisseurs du secteur, l’électrochoc a eu lieu il y a un an, en juin 2017. Quand Amazon a mis la main sur le distributeur américain Whole Foods Market pour 13,7 milliards de dollars, les Naouri, Hubner, Bompard and co ont compris que les velléités du e-commerçant dans le commerce physique n’étaient plus une lointaine menace. Que le terrain de jeu se déplaçait au niveau international, à la faveur des ambitions d’un autre géant, Alibaba. Et que pour survivre, l’union ne ferait pas seulement la force. Elle deviendrait indispensable.

Alliances en série

Auchan a tiré le premier en annonçant en novembre 2017 une alliance avec le chinois Alibaba. En janvier, Carrefour a signé avec l’autre champion de l’empire du milieu, Tencent. Puis le groupe Casino a dévoilé en mars un partenariat avec Amazon, via sa filiale Monoprix. Quelques semaines plus tard, en avril, Casino et Auchan annonçaient leur rapprochement, en précisant dès le premier paragraphe qu’il s’agissait d’un « partenariat stratégique mondial ». Et Carrefour de renchérir en juin avec un partenariat avec l’Américain Google. Puis, en ce début juillet, avec le Britannique Tesco.

Un accord finalisé d’ici deux mois

Le partenariat, devant être finalisé d’ici deux mois, réunit Carrefour, qui affiche 12.000 magasins et 88,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires au total, dont 25% en marques propre, et Tesco, qui possède 6.900 points de vente et génère l’équivalent de 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 50% en marques propre. L’accord couvrira les relations stratégiques avec les fournisseurs, c’est-à-dire la vente de services tels que du marketing auprès des grandes marques internationales, ainsi que l’achat en commun de produits de marque propre comme les mouchoirs, le jus d’orange ou les couches, et de biens non marchands. Les produits frais ne sont pas concernés. La Pologne et la Chine, deux territoires où se trouvent les deux distributeurs, sont exclues. En revanche, ce rapprochement permet à Tesco de bénéficier de la présence de Carrefour en Amérique du Sud et Europe du Sud, et à ce dernier de profiter de l’implantation du Britannique en Asie et Europe du Nord. A priori, il n’est pas question de créer une centrale, ni d’aboutir à une opération capitalistique. Pour Carrefour, c’est une nouvelle brique qui s’ajoute à celle avec Système U qui concerne les marques internationales et les relations agricoles en France, et celle avec Fnac-Darty sur les achats électroniques et d’électroménager.

Des cours de Bourse toujours bas

Si le deal est intéressant, il est cependant loin d’avoir dopé les cours de Bourse des forces en présence. Celui de Carrefour reste désespérément bas, à moins de 14 euros l’action. Celui de Tesco n’a pris que 0,40%. « Nous verrions cet accord comme étant potentiellement utile pour les deux entreprises, même s’il ne s’agit probablement pas de la dynamique la plus importante pour la trajectoire de redressement de chacune d’entre elles », ont écrit dans la foulée les analystes de Barclays. « Ce que le marché attend, c’est surtout une amélioration des performances de Carrefour en France », pointe un connaisseur du secteur, « et il a compris que cela ne viendrait pas en 2018. » Charge à Alexandre Bompard, PDG de Carrefour depuis bientôt un an, de démontrer par les faits que toutes les alliances qu’il a nouées en un temps record (Tencent, Système U, Google, Tesco), et qui s’inscrivent dans son plan Carrefour 2022 présenté le 23 janvier, contribueront effectivement au redressement du groupe, notamment dans son pays d’origine. Lors du dernier pointage établi par Kantar World Panel, le 26 juin, le distributeur perdait encore des parts de marché dans l’Hexagone. Il pèse désormais 20,1% contre 21,2% pour le leader Leclerc.

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