L’économiste Patrick Artus dresse le bilan de l’Europe

A l’occasion du Printemps de l’Economie, ensemble de débats sur les enjeux économiques en Europe qui se déroulent à Paris entre le 7 et le 12 avril, Challenges.fr met en avant les interventions des responsables invités à donner leur avis. Retrouvez ci-dessous une analyse de Patrick Artus.

On connait les avancées dues à l’Europe : libre circulation des biens du capital, du travail ; extension de la démocratie et de la sécurité ; fonds européens servant au développement des pays les plus pauvres ; mise en commun de fonctions importantes : commerce, concurrence, politiques agricoles ; union bancaire : supervision des banques et gestion des crises bancaires effectuées au niveau de la zone euro.

En principe, la libre circulation des biens, des facteurs de production, la stabilité des taux de change pour les pays de la zone euro, l’existence de fonds structurels européens devrait conduire :

– à un supplément d’échanges commerciaux entre les pays de l’Union Européenne. Ceci est vrai pour les pays d’Europe Centrale (leurs exportations vers l’UE passent de 20% du PIB en 1995 à 33% en 2014), mais pas pour les pays de l’UE à 15 (leurs exportations vers l’UE à 15 restent aux environs de 20% du PIB) ;

– à un supplément de croissance. Or, (tableau 1), la croissance de l’UE (à 15 ou dans son ensemble à 28) est faible, plus faible que celle des Etats-Unis et du Royaume-Uni, presque aussi faible que celle du Japon ;

Tableau 1

Moyenne annuelle de la croissance du PIB

(volume, GA en %)

UE à 15

Ensemble de l’UE

Etats-Unis

Royaume-Uni

Japon

Moyenne sur la période 1990-1999Q4

1,75

1,28

3,25

2,18

2,06

Moyenne sur la période 2000-2013Q4

1,26

1,38

1,94

1,73

1,16

Sources : Datastream, Eurostat, BEA, ONS, Cabinet Office, Natixis

– à une montée en gamme de l’économie européenne. Or (tableau 2), les gains de productivité sont extrêmement faibles dans l’UE (à 15 ou dans son ensemble), plus faibles que dans les autres pays de l’OCDE et en recul. Il y a donc déficience de l’effort d’innovation, de montée en gamme ;

Tableau 2

Moyenne annuelle des gains de productivité par tête

(volume, GA en %)

UE à 15

Ensemble de l’UE

Etats-Unis

Royaume-Uni

Japon

Moyenne sur la période 1990-1999Q4

1,87

1,57

2,04

2,02

0,93

Moyenne sur la période 2000-2013Q4

0,58

0,95

2,09

1,04

1,08

Sources : Datastream, Eurostat, BEA, ONS, Cabinet Office, Natixis

– à une réduction des inégalités de revenu entre les pays de l’UE. Pour les pays initialement les plus pauvres de l’UE, l’écart de revenu avec l’Allemagne s’est réduit jusqu’en 2007 mais il s’est réouvert après. Ceci est vrai pour l’Espagne, la Slovaquie, le Portugal, la Croatie, la Slovénie, la Grèce, la Lituanie, la Roumanie, Chypre, la République Tchèque.

Ceci révèle l’absence de transferts qui réduiraient l’hétérogénéité ; pose la question de l’unicité des règles pour des pays ayant des niveaux de vie aussi différents.

Quelles ont été les déficiences ?

– l’absence de séparation des règles et des institutions entre les pays de l’UE appartenant à la zone euro et les autres pays de l’UE. L’appartenance à la zone euro renforce la nécessité de coordination puisque les écarts (de fiscalité, de règlementation) ne peuvent pas être compensés par les variations du taux de change ;

– l’absence de réflexion sur le fait que la libre mobilité des personnes et du capital, et, pour les pays de la zone euro, la disparition du risque de change, allaient conduire à des spéculations productives différentes des pays, donc à une hétérogénéité croissante de la zone euro, alors qu’il n’y a pratiquement pas d’instruments (en l’absence de fédéralisme) pour corriger l’hétérogénéité.

Le poids de l’industrie dans le PIB a divergé : aujourd’hui de 7% du PIB en Grèce à 20% du PIB en Allemagne, contre une fourchette de 10 à 18% du PIB en 1996.

– l’absence de coordination fiscale et sociale, et au contraire une relation entre pays surtout basée sur la concurrence concernant la pression fiscale (tableaux 3 et 4) et le coût du travail, qui s’est substituée à la concurrence par les taux de change ;

Tableau 3

Taux d’imposition sur les profits des sociétés

(%, 2014)

Allemagne

29,80

Autriche

25,00

Belgique

33,99

Chypre

10,00

Danemark

19,00

Espagne

30,00

Estonie

21,00

Finlande

20,00

France

37,00

Grèce

26,00

Hongrie

10 à 19

Irlande

12,50

Italie

27,50

Lettonie

15,00

Lituanie

15,00

Luxembourg

21,00

Malte

35,00

Norvège

27,00

Pays-Bas

20 à 25

Pologne

19,00

Portugal

25,00

République Tchèque

19,00

Royaume-Uni

21,00

Slovaquie

22,00

Slovénie

17,00

Suède

22,00

Sources : Natixis

Tableau 4

Salaire horaire dans l’industrie y compris charges sociales (en €)

 

1996

2000

2005

2013

Allemagne

24,8

27,6

30,1

36,3

Autriche

22,9

23,8

27,4

33,2

Belgique

26,0

28,4

33,0

42,9

Luxembourg

22,0

22,6

28,9

30,3

Chypre

6,7

8,3

10,7

12,9

Espagne

15,6

15,1

16,9

22,8

Estonie

1,8

2,7

4,4

8,2

Finlande

20,1

22,0

28,2

33,8

France

22,2

25,0

30,0

36,7

Grèce

8,6

10,4

12,2

16,1

Irlande

13,3

17,1

23,1

0,0

Italie

16,6

18,3

22,3

27,1

Malte

8,1

10,7

Pays-Bas

23,0

23,4

28,5

34,1

Portugal

6,0

6,9

8,8

11,1

Royaume-Uni

14,0

22,4

23,9

24,6

Suède

21,4

25,4

28,5

39,2

Danemark

24,1

29,8

38,4

Slovaquie

2,3

3,1

4,6

9,4

Slovénie

6,7

8,2

9,8

13,4

Estonie

4,4

8,8

Lettonie

5,7

Lituanie

5,9

Hongrie

8,0

Malte

8,1

10,7

Pologne

7,2

Roumanie

4,2

Sources : Eurostat, Natixis

 

– l’absence de mutualisation des « vieilles dettes » qui rend évidemment très difficile la résolution des problèmes d’endettement excessif hérité du passé ;

– la déficience de la supervision économique des pays, basée sur des « chiffres magiques » et pas sur une analyse suffisamment profonde de la situation et des déséquilibres économiques ;

– l’absence de l’Europe (avec une voix unique) dans un certain nombre de dossiers : énergie, diplomatie (malgré l’existence d’une représentation diplomatique de l’UE), capacité d’intervention militaire, et bien sûr les difficultés de la coordination budgétaire ;

– l’action de la BCE est ambiguë. Certes, il y a eu soutien de la liquidité des banques mais la surévaluation de l’euro et le recul de l’inflation jusqu’à la déflation ont été acceptés par la BCE.

>> Retrouvez le programme complet du Printemps de l’économie sur cette page


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