Les marchés financiers oscillent entre l’espoir et la crainte

L’horizon paraît flou sur des marchés financiers qui entrevoient des signes d’un essoufflement de la pandémie de coronavirus permettant un redémarrage de l’économie tout en constatant chaque jour davantage l’étendue des dégâts provoqués par une crise sans précédent dans l’histoire contemporaine.

Les investisseurs ont choisi dernièrement de voir le verre à moitié plein avec un net rebond des indices observé vendredi, l’annonce d’une réouverture graduelle de l’économie américaine l’emportant à leurs yeux sur celle d’une contraction record de l’économie chinoise au premier trimestre.

L’équilibre est cependant fragile, avec en outre le flot de mauvaises nouvelles qu’apporte la saison de résultats trimestriels d’entreprises qui bat son plein aux Etats-Unis et vient de démarrer en Europe, où elle montera en régime dans les jours qui viennent.

Les gouvernements ont pendant ce temps à résoudre une équation complexe, une sortie du confinement s’imposant pour contenir le naufrage de leur économie mais présentant le risque de favoriser la reprise des contaminations en cas de décision trop précitée.

Donald Trump, qui s’encombre rarement de nuances, a tranché dans le vif en dévoilant jeudi une série de directives destinées à permettre aux Etats américains du lever progressivement les mesures pesant lourdement sur leur activité.

L’épidémie continue pourtant de tuer partout dans le monde et notamment aux Etats-Unis, où elle a contaminé 665.000 personnes et causé 33.000 décès, selon un décompte effectué jeudi par Reuters.

L’effondrement du marché de l’emploi dans la première économie du monde, avec plus de 22 millions de nouveaux chômeurs sur les quatre dernières semaines, a sans doute pesé sur la décision du président américain.

Ses annonces sont intervenues quelques heures avant celle d’une contraction de l’économie chinoise au premier trimestre, pour la première fois depuis au moins 1992, ce qui accentue la pression sur Pékin pour mettre en oeuvre des mesures supplémentaires de soutien.

Le produit intérieur brut (PIB) de la Chine a chuté de 6,8% en rythme annuel sur la période janvier-mars, montrent des données officielles publiées vendredi, un repli supérieur au consensus qui anticipait -6,5% après une croissance de 6% au quatrième trimestre 2019.

LES ENTREPRISES FRAPPÉES DE PLEIN FOUET

La sérénité relative des investisseurs, qui a de quoi surprendre au regard de l’ampleur de la crise, s’explique en outre par les énormes efforts consentis par les gouvernements et les banques centrales pour protéger les entreprises les plus fragiles et maintenir la liquidité du système financier afin de poser les bases d’un rebond durable.

Pour certains, l’Europe est un peu à la traîne, ce qui donne un relief particulier à la réunion en visioconférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne qui doit se tenir jeudi prochain.

Une récession mondiale profonde ne fait plus de doute, un recul marqué des bénéfices des entreprises non plus, notamment aux Etats-Unis, où des provisions pour couvrir les risques de défauts de paiements ont rogné les profits des banques de Wall Street sur les trois premiers mois de l’année.

En Europe aussi, l’impact est notable et la liste des entreprises qui renoncent à verser un dividende, coupent dans leurs dépenses et retirent leurs objectifs financiers ne cesse de s’allonger.

Sans surprise, la semaine écoulée a vu se poursuivre les révisions à la baisse des estimations de résultats.

Pour le S&P 500 américain, les profits du premier trimestre sont désormais attendus en repli de 12,8% sur un an, ceux du deuxième trimestre en chute de 26,5%. Et selon les données de Refinitiv, il faudrait attendre le premier trimestre 2021 pour qu’ils renouent avec la croissance.

Côté européen, le recul des bénéfices du Stoxx 600 sur janvier-mars devrait atteindre 22%, celui des chiffres d’affaires 6,3%. Et la chute se poursuivrait là aussi jusqu’à la fin de l’année, avec des bénéfices attendus en baisse de 34,2% au deuxième trimestre, de 25,5% au troisième et de 2,9% au quatrième.

La semaine à venir donnera l’occasion aux investisseurs de commencer à mesurer la réalité des difficultés des entreprises européennes, avec à l’agenda entre autres les publications de SAP, Ericsson STMicroelectronics et Volvo.

Les mauvais résultats ne provoquent cependant pas de cataclysme en Bourse, pour l’instant du moins, parce que les indices ont beaucoup baissé et que la chute des bénéfices était largement attendue, font valoir de nombreux intervenants de marché.

SURVIVRE À LA CHUTE POUR PROFITER DU REBOND

Si les comptes des entreprises témoignent d’un choc violent, un rebond ne s’en dessine pas moins sur la seconde partie de l’année grâce aux réponses monétaires et politiques ainsi qu’à des signes de ralentissement de l’épidémie, selon la plupart des analystes, qui ne s’accordent toutefois ni sur sa rapidité, ni sur sa vigueur.

La crise du coronavirus oblige les investisseurs à revoir leur grille de lecture en se concentrant d’abord sur la recherche d’entreprises susceptibles d’y survivre, dit-on chez Fidelity International.

« Comme l’explique un dicton boursier, pour profiter du rebond, il faut survivre à la chute », souligne Romain Boscher, directeur monde de la gestion actions pour la société.

« C’est un enjeu car, malheureusement, le taux d’entreprises potentiellement exposées à une banqueroute ou une recapitalisation massive et donc à une dilution massive pour l’actionnaire est considérable ».

L’effondrement des bénéfices ménage quelques acteurs comme la santé, la technologie ou certains secteurs de la consommation et frappe au contraire plus durement certains compartiments comme le pétrole ou les matières premières, avec des divergences considérables, relève-t-il avant d’inviter les investisseurs à regarder un peu plus loin.

Ils doivent se préparer, selon lui, à un marché de sortie de crise qui sera complètement différent avec le retour de la volatilité et de poches d’inflation dans un environnement de taux durablement bas afin de maintenir la soutenabilité de la dette.

Dans le monde d’après, la priorité des entreprises ne sera pas de rémunérer leurs actionnaires mais plutôt de consolider leur bilan, avec une pression étatique plus forte, ce qui changera radicalement la donne sur les marchés financiers, prévient-il.

« C’est bien une nouvelle toile de fond, très discriminante, qui se présente, avec un contexte qui amène à revisiter complètement toute hypothèse d’investissement », dit Romain Boscher. (avec Marc Angrand, édité par Blandine Hénault)