L’éthique, valeur montante chez les nouveaux héritiers d’entreprises familiales

Peut-on enseigner l’éthique au même titre que la finance ou le marketing aux héritiers des grandes familles? « Ils nous le demandent », répond Morten Bennedsen, professeur en charge de la chaire André et Rosalie Hoffmann for Family Enterprise et directeur académique du Wendel International Center à l’Insead. La preuve? Le 13 juin, le webinaire organisé par l’école, intitulé « Family business: a force for good ? », a attiré plus de 400 participants depuis 57 pays. « La philanthropie existe depuis longtemps dans les grandes dynasties, rappelle-t-il. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir comment l’argent est distribué, mais aussi comment il est gagné. » Un devoir moral plus complexe, surtout si l’entreprise familiale est cotée ou aux mains de centaines d’héritiers.

Ciment entre les générations

« La jeune génération met la pression sur les parents pour inventer des business models qui intègrent les droits de l’homme, l’égalité entre les sexes ou le réchauffement cli­matique », note Natalia Olynec, responsable développement durable à l’IMD de Lausanne, une grande école experte de l’entrepreneuriat familial. Selon Peter Vogel, directeur du Global Family Business Center, un nouveau type de très gros donateurs émerge, qui veulent impacter concrètement le monde. « A la demande des banques qui gèrent de grandes fortunes, nous construisons des programmes spécifiques pour les enfants de leurs clients afin de les former à une approche des affaires plus respectueuse du monde qui les entoure. » Cela passe par des voyages d’études au Pérou ou au Kenya pour les élèves de l’executive MBA.

Lire aussiSocial, environnement… Le Medef et les grands patrons promettent d’être « éthiques », pour de bon?

« L’éthique irrigue tous nos cours, avec l’étude de cas pratiques comme Enron », affirme Anne-Claire Pache, professeur à l’Essec en innovation sociale et titulaire de la chaire philanthropie. Dans cette école, la comptabilité extra-financière, qui ne se base pas sur les seules performan­ces économiques, sera enseignée à la rentrée. Et le module Responsible leadership est devenu obligatoire. « Le but est d’adopter une double mission économique et sociale. » Enfin, tous les étudiants suivront à l’avenir une formation sur les enjeux climatiques.

« Ces questions sont essentielles, assure Elizabeth Ducottet, PDG de Thuasne, dont les trois enfants occupent des postes de direction dans l’entreprise familiale. On ne se disculpe pas en faisant un peu de bien à l’extérieur. » D’autant que l’éthi­que peut être un facteur de résilience, un ciment entre les générations. Ainsi, pour la première fois cette année, Wendel a organisé une session de formation sur l’investissement social et durable auquel ont participé 80 membres de la famille. « On doit penser au monde que l’on laisse à nos enfants, donc aux conséquences de nos choix », dit Priscilla de Moutiers, elle-même descendante des maîtres de forges. Et, à présent, tous les investissements du holding sont passés au filtre de l’éthique. « Cela exige d’être plus transparent et démocratique, explique André Hoffmann, vice-président du groupe pharmaceuti­que Roche. Ce n’est pas si naturel. »

Lire aussiLes écoles de commerces percutées par la démondialisation

L’écueil de l’incohérence

Il est aussi indispensable d’être cohérent dans ses actions. Ainsi, après l’incendie de Notre-Dame, comme pendant la crise du Covid-19, beaucoup de milliardaires ont ouvert leur portefeuille ou mobilisé leurs usines. Cela n’en fait pas des parangons de vertu, surtout si leurs pratiques managériales ne sont pas exemptes de critiques. Un exemple? Si François-Henri Pinault est très engagé sur l’environnement et auprès des minorités, Kering, l’entreprise contrôlée par sa famille, a écopé l’an dernier d’un redressement fiscal de 1,2 milliard d’euros en Italie. Cherchez l’erreur…

Challenges en temps réel : Entreprise