Mais que font les riches de leurs dividendes ?

Chez les Bellon, les dividendes ont une seule fonction : renforcer le contrôle familial sur Sodexo. C’est ainsi que le 31 mai, Pierre Bellon SA, le holding familial du fondateur, a racheté 1 350 000 actions du groupe. Un investissement d’un peu plus de 100 millions d’euros pour acquérir 0,9 % du capital, correspondant à une bonne partie des dividendes perçus pour sa participation de 41 %. Au soir de sa vie d’entrepreneur, Pierre Bellon, 88 ans, a voulu envoyer un signal fort au marché financier alors que le titre a perdu un tiers de sa valeur en un an :  » Je veux montrer que nos intérêts sont totalement alignés sur ceux des autres actionnaires. « 

Mais c’est surtout l’obsession de l’indépendance qui le guide :  » Lors de la création de Sodexo, il y a cinquante ans, mon père m’a demandé que le capital soit réparti à parts égales entre mes deux soeurs et moi. J’ai négocié pour être majoritaire.  » Philippe Ginestié, avocat d’affaires de grandes familles, décode :  » Un fondateur a généralement plusieurs motivations, comme sécuriser le contrôle, rendre une OPA difficile, et conforter sa légitimité. Personne ne veut finir comme Louis XV. « 

« Jamais vendu »

Chez les Bellon, le holding familial a clairement défini le mode de gouvernance qui lie ses membres : une bible d’une vingtaine de pages décrit dans les moindres détails les relations entre les différents héritiers ; avec comme première règle l’interdiction faite aux descendants de Pierre Bellon de céder leurs actions à des tiers… pendant un demi-siècle.  » Le sujet est ainsi clos avant même d’être ouvert « , observe François Simon, cofondateur du family office Agami. Et les quatre enfants du fondateur – François-Xavier, Nathalie, Sophie et Astrid – ont signé sans hésiter.

Même s’ils ne sont pas frères et soeurs, mais cousins, les héritiers de Paul Ricard ont une conception assez proche de la possession de leurs actions :  » Pour moi, ces titres, ce n’est pas de l’argent, c’est du papier, et d’ailleurs, je n’en ai jamais vendu « , atteste Alexandre, petit-fils de Paul, qui dirige aujourd’hui Pernod Ricard. Et que font-ils des dividendes reçus, qui ne sont pas négligeables ? Chaque année, c’est 76 millions qui tombent, correspondant aux 14,2 % du capital qui sont toujours dans la famille. Mais ils sont nombreux à se partager ces actions – environ 70 héritiers – et, surtout, cette somme reste au sein du holding familial Société Paul Ricard. Cette dernière l’emploie avec deux objectifs : asseoir son contrôle, elle aussi, sur Pernod Ricard par des rachats d’actions ; et se consacrer à l’oeuvre de la vie de Paul Ricard, les îles méditerranéennes de Bendor et des Embiez, en face de Bandol. Les deux îles, qui disposent de quelque 300 lits d’hébergement, sont constamment manucurées, façon de prouver l’attachement de la famille à cette autre forme d’héritage.

Pas question donc pour les Ricard comme pour les Bellon d’investir les dividendes ailleurs que dans l’entreprise. A l’inverse des Bettencourt-Meyers, actionnaires à 33 % de L’Oréal, qui ont décidé de s’ouvrir de nouveaux champs. Il faut dire que ce sont plus de 660 millions de dividendes annuels qui leur sont versés. En 2015, Françoise, son mari et leurs deux fils ont donc créé Téthys Invest, une société d’investissement pour accompagner des champions nationaux dans leur développement et se diversifier dans différents secteurs. Une partie de cet argent a été mobilisée pour acquérir 20 % de Galileo Global Education, le leader européen de l’enseignement supérieur privé qui possède notamment Paris Business School, le Cours Florent ou encore Strate Ecole de design. Un ticket à 200 millions qui reflète la volonté des héritiers d’Eugène Schuller d’investir dans des secteurs d’intérêt général comme l’éducation et la santé sans la même pression qu’un fonds classique.

L’an dernier, Téthys avait pris dans le même esprit une participation minoritaire dans le groupe de cliniques privées Elsan.  » Il s’agit généralement de projets en forte croissance, avec une dimension entrepreneuriale, et l’idée d’en faire des champions européens ou mondiaux comme l’histoire de L’Oréal « , observe un investisseur proche de la famille. Cela n’empêche pas la fondation Bettencourt d’investir en parallèle dans des oeuvres caritatives à dimension culturelle alors que celle de Pierre Bellon se consacre au développement humain.

SOURCES : ENTREPRISES, CHALLENGES

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